Des joueuses de handball doivent payer pour représenter le Canada aux Jeux panaméricains
Elles s’illustrent à l'international malgré un manque de ressources
Mylène Richard
Elles sont enseignante, infirmière, éducatrice, avocate, employée de la DPJ, kinésiologue, ostéopathe, étudiante, mère, et surtout des membres de l’équipe nationale de handball. Contre toute attente, elles se sont qualifiées il y a près d’un an pour les Jeux panaméricains, en grande partie à leurs frais.
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Ces passionnées représentent le Canada avec fierté cette semaine au Chili, mais leur portefeuille sera plus léger à leur retour. Car oui, elles doivent débourser pour faire briller l’unifolié à l’étranger.
«C’est fatigant, parce que cette énergie-là, qu’on met [pour trouver de l’argent], on ne la met pas sur notre jeu», avait mentionné au Journal l’entraîneuse de la formation canadienne et des équipes féminines du Québec, Nathalie Brochu, en pleine préparation il y a quelques mois.

Désavantage
À Santiago, l’équipe à la feuille d’érable compétitionne contre le Brésil et l’Argentine, «qui ont des millions de dollars de budget annuellement et dont les joueuses évoluent en Europe professionnellement», selon Mme Brochu.
Cette dernière ajoute que l’Uruguay, le Paraguay ou Porto Rico, «qui ne sont pas considérés comme des pays riches», assument les dépenses de leurs athlètes.
«Quand je raconte que les filles d’ici doivent débourser, les gens ne me croient pas!», raconte l’ancienne athlète de l’équipe nationale.
«C’est sûr à 100% qu’on sent un désavantage, admet la Sherbrookoise de 29 ans, Émily Routhier, une employée de la Direction de la protection de la jeunesse ayant inscrit deux buts dans une défaite de 23 à 14 face au Chili, mardi. Il y a des joueuses d’autres pays qui ont juste à s’entraîner, à toucher des balles et à jouer. Il y en a qui sont payées pour jouer au handball.»
Ce sport, surtout pratiqué dans nos écoles, peut compter sur 30 millions d’adeptes dans le monde. En Europe, les ligues professionnelles, tant féminines que masculines, permettent à certains joueurs d’encaisser des millions de dollars (voir le tableau ci-dessous).
Pendant ce temps au Canada, la seule joueuse professionnelle est Maksi Pallas. Toutefois, l’Albertaine de 20 ans qui évolue en Allemagne a été récemment opérée à un genou et elle n’a pu se rendre au Chili.
Le Tupperware Squad
Au fil des ans, la fédération nationale a perdu le soutien financier d’Ottawa, du personnel et son centre d’entraînement. Malgré cela, des passionnés ont relevé leurs manches pour réaliser des petits miracles. Les femmes se sont notamment qualifiées lors des deux derniers Jeux panaméricains.
«En 1999, on était à quatre buts d’aller aux Jeux olympiques de Sydney, rappelle Mme Brochu. À l’époque, le gouvernement canadien avait déjà commencé à faire des coupes. On avait fait les manchettes; on nous appelait le Tupperware Squad, parce qu’on avait vendu des Tupperware pour amasser des fonds.»
«On répond aux mêmes standards que les athlètes d’excellence d’autres sports. Mais nous, on le fait sans subvention, sans installation, sans grand-chose. On réussit à faire l’impossible avec rien», poursuit celle dont les protégées n’en reviennent pas quand elle leur raconte qu’elle recevait 565$ par mois pour s’entraîner à temps plein ou que ses études universitaires et ses traitements de physiothérapie étaient payés.
La formation actuelle a donc fait du sociofinancement, recueilli des dons et organisé un tournoi en août afin de réduire ses frais.
«À coup de 1000$ ici et là, on a réussi à apaiser les filles», assure Mme Brochu, même si la série aller-retour l’automne dernier avec les États-Unis afin d’obtenir un billet pour Santiago a coûté environ 30 000$ au groupe.

Une passion onéreuse
Sans inclure la perte de salaire, une saison de handball demande à ce que chaque joueuse nationale sorte entre 5000$ et 10 000$ de ses poches.
«Des fois, on va moins loin pour les vacances en famille, souligne Nassima Benhacine, une joueuse de Chambly et mère d’un garçon de 2 ans. Il faut un partenaire qui embarque dans l’aventure, car tout le temps qu’on passe à l’entraînement, on ne le passe pas à la maison.»
«L’argent ne change pas le monde, sauf que ça aide!», blague l’avocate criminaliste.

Parmi les 16 athlètes canadiennes au Chili, dont 11 Québécoises, deux sont remplaçantes et n’ont pas accès aux remboursements (avion, hébergement et nourriture). C’est aussi le cas pour trois des cinq accompagnateurs (entraîneuse, assistante, préparatrice mentale, physiothérapeute et analyste vidéo).
«Une grosse différence, c’est que cette année, Lululemon habille tout le monde gratuitement. En 2019, on devait payer 1100$ par personne pour les vêtements officiels», pointe Mme Brochu.
Les membres de la délégation canadienne de handball se partageront les frais et il en coûtera environ 1400$ par personne pour représenter le pays aux Jeux panaméricains et espérer se qualifier pour les Jeux olympiques en remportant l’or. Si la formation nationale termine deuxième, elle devra passer par un tournoi de la deuxième chance.
Enfin une lueur d’espoir
L’équipe féminine de handball du Canada a enfin l’impression qu’elle pourra sortir la tête de l’eau bientôt.
«On était dans un cercle vicieux où tu n’as pas d’argent, donc pas de ressources», analysait la semaine dernière Nadia Lefebvre, nouvelle directrice exécutive des opérations à Handball Canada, un poste vacant depuis au moins deux ans.
L’ancienne joueuse de la formation nationale qui agit actuellement comme préparatrice mentale aux Jeux panaméricains occupe ses nouvelles fonctions depuis à peine deux mois grâce à une subvention, mais déjà, elle a établi un précieux lien afin d’aider à restructurer l’organisation.
«On a espoir d’être subventionnées en 2025 par Sports Canada, précise-t-elle. [...] On est tellement reconnaissantes, il y a des membres du COC [Comité olympique canadien] et de Sports Canada qui veulent qu’on revienne.»
«Ils ont dit que l’équipe féminine avait réussi à faire briller le handball à nouveau à l’international», fait remarquer l’entraîneuse, Nathalie Brochu.

«Les moyens du bord»
Selon Mme Lefebvre, avec «les moyens du bord», les Canadiennes étaient même à une victoire de se qualifier pour le Championnat du monde, s’inclinant 17 à 15 contre le Groenland en finale d’une compétition de la Confédération d'Amérique du Nord et des Caraïbes.
Tout ça, sans un sou ou presque, du fédéral, qui finance pourtant des sports qui ne sont pas aux Olympiques, comme le boulingrin, le cricket, le ballon sur glace, le ski nautique, la ringuette ou les quilles.
«C’est difficile et aberrant, avait soutenu en début d’année Émily Routhier, la meilleure marqueuse du pays avec 16 buts en cinq matchs aux Jeux panaméricains de Toronto en 2015. En plus de l’aspect mental et physique, on doit penser à l’aspect financier. C’est stressant, parce qu’on n’a pas toujours le temps de gérer ça.»

Une reconnaissance
Au cours des derniers mois, Mme Brochu a réussi à obtenir le statut d'excellence pour les joueuses québécoises, aboutissant à une bourse de 6000$ pour chacune. Deux autres athlètes de l’Alberta ont aussi reçu de l’aide provinciale.
Malgré cela, les femmes, qui s’entraînent entre 15 h et 20 h par semaine en plus de travailler à temps plein, d’étudier ou d’avoir une famille, doivent payer pour représenter le Canada.
«On voudrait que le gouvernement supporte l’élite à ce niveau-là, souhaitait en janvier Nassima Benhacine, membre de l’équipe nationale depuis 2008. J’ai une hypothèque à payer, la charge d’un enfant, etc.»

Des «gens de cœur»
Heureusement, Mme Brochu a su s’entourer de «gens de cœur et compétents». Au Chili, elle est secondée par Audrey Vanslette, une ex-internationale dont la mère a déjà joué pour le Canada, par la physiothérapeute Raphaëlle Allard et l’analyste vidéo Guillaume Gaudet.
«Quand les gens me demandent combien ça me coûte, je réponds que je ne le sais pas et je ne veux pas le savoir!», s’exclame en riant l’enseignante en adaptation scolaire à l’école secondaire Louis-Cyr de Napierville.
Reste maintenant à convaincre les instances que les entraîneurs ont aussi besoin d’un coup de pouce financier, même s’ils ont un autre emploi à temps plein.

Saviez-vous que...?
Le handball a vu le jour dans des pays scandinaves et en Allemagne à la fin du 19e siècle.
La discipline masculine a fait son entrée aux Jeux olympiques de Berlin en 1936 et se disputait en plein air, sur le gazon, avec 11 joueurs.
Le handball revient aux JO de Helsinki en 1952 en tant que sport de démonstration.
Il est de retour aux Jeux de Munich de 1972 et est présenté en gymnase, avec sept joueurs par équipe.
La première compétition olympique féminine a lieu aux Jeux de Montréal en 1976.
Aux Olympiques, 12 pays sont représentés, tant chez les hommes que chez les femmes.
Un match est constitué de deux demies de 30 min.
Dans le monde, 30 millions de personnes s’adonnent au handball (salle, plage, mini et fauteuil roulant).
Il est considéré par plusieurs comme le sport collectif de ballon le plus rapide, alliant contacts, agilité et explosivité. Les arbitres peuvent même sanctionner quand le rythme est passif.
La Russie (Union soviétique et Équipe unifiée) détient le record de sept médailles d’or olympiques, tous genres confondus. Chez les femmes, elle a triomphé sept fois au Championnat du monde.
La formation féminine du Danemark a gagné l’or olympique en 1996, en 2000 et en 2004. Les Danois sont de leur côté champions mondiaux, imités par les Norvégiennes.
La France est reine olympique en titre, tant chez les hommes que chez les femmes. Son équipe masculine a dominé à six reprises au Mondial.
Les meilleures ligues professionnelles masculines et féminines sont situées en Espagne, en Allemagne, en France, en Hongrie, au Danemark, en Norvège et en Russie.
Les joueurs millionnaires
Voyez en photos les athlètes de handball les mieux payés de la planète:









