Des fonds marins jusque dans l'espace: le danger fait partie de l’attrait du tourisme extrême


Dominique Scali
Visite des fonds marins, expéditions polaires, voyages dans l’espace: le besoin de sortir de sa zone de confort et «l’arrogance humaine» expliquent que des gens très riches mettent leur vie en danger pour repousser les limites dans un monde où il y a de moins en moins de terres vierges. Eh oui, le risque fait partie de l’attrait, expliquent des experts et guides.
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Les milliardaires disparus à bord du submersible Titan ne sont pas les seuls à s’adonner à cette forme de tourisme de niche. Voici quelques exemples d’aventures extrêmes... qui le sont de moins en moins.

1) Passer là où les explorateurs restaient pris
Plusieurs compagnies offrent des croisières polaires là où tant d’explorateurs ont perdu la vie par le passé. Pour quelque 18 000$ canadiens, on peut se payer le mythique passage du Nord-Ouest dans l’Arctique, rendu accessible grâce au réchauffement climatique.
En plus de l’observation d’ours polaires et de baleines, il est possible de se recueillir à l’un des sites où ont hiverné les membres de l’expédition Franklin, dont les navires Erebus et Terror sont restés pris dans les glaces dans les années 1840.
Le terme «croisière» peut laisser croire à un voyage paisible, mais le risque est tout de même présent en raison de la difficulté d’obtenir du secours dans ces zones polaires, rappelle Alain Grenier, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
Le risque est aussi variable d’une personne à l’autre. M. Grenier a déjà pris part à une croisière en Antarctique où le bateau pouvait prendre des vagues de 10 m avec des passagers de plus de 80 ans à bord. «Le risque de se casser une hanche n’est pas le même», illustre-t-il.
Dans ces régions, «la veste de sauvetage est là pour récupérer ma dépouille, pas pour me sauver la vie.»
2) Loin de tout dans le Grand Nord
Pas besoin de changer de pays pour vivre un dépaysement total. Par exemple, la compagnie Nord Expé offre des expéditions en motoneige dans le Grand Nord canadien.
«On peut passer six jours [à voyager en terrain désert] entre deux villages inuits», illustre le président Pierre Challier.
Une dizaine de clients, pour la plupart des touristes internationaux prêts à débourser 2000$ par jour, prennent part chaque année à ces expéditions de deux semaines.
Les participants ont alors un rôle essentiel à jouer, comme la coupe du bois et le ravitaillement en eau. Ce type d’excursion implique aussi que l’itinéraire doit constamment être revu en fonction de la météo.
Une série de plans sont prévus pour faire face à tous les scénarios. En cas de catastrophe, un secours aérien est organisé, mais les possibilités d’évacuation dépendent aussi des conditions.
«En filigrane, il y a le désir de se mettre en danger» et «de se dépasser», observe M. Challier.
L’offre touristique au nord du 49e parallèle est en plein développement, indique Pierre Gaudreault, directeur général d’Aventure Écotourisme Québec (AEQ). Un programme d’incubateur-accélérateur nordique a d’ailleurs le soutien du ministère du Tourisme.

3) Embouteillages sur l’Everest
Chaque année, en moyenne cinq personnes perdent la vie en tentant de gravir l’Everest. Or, le plus haut sommet du monde est de plus en plus comparé à une «autoroute», un «cirque» ou même à «la tour Eiffel» de l’alpinisme dans les médias. Cette année, le Népal a délivré plus de 450 permis d’ascension, un nombre record.
La plupart des grimpeurs sont aidés de guides sherpa qui transportent leur équipement.
Ironiquement, la surfréquentation de l’Everest, qui entraîne de longues files d’attente dans le froid, est un des facteurs de danger.
Malgré tout, l’Everest demeure le grand rêve des montagnards, le «trophée» ultime, note Alain Grenier. Au-delà de ça, le défi est d’accumuler les sommets franchis. On passe du trophée à la «collection de trophées», illustre le professeur.

4) Réserver une chambre dans l’espace
Le jour où il sera possible de réserver une chambre avec une vue digne d’un film de science-fiction dans un hôtel en orbite pourrait arriver plus vite que prévu. La compagnie Orbital Assembly estime que son concept d’hôtel spatial devrait être opérationnel en 2027, voire peut-être 2025.
La semaine prochaine, Virgin Galactic lancera son premier vol commercial, rejoignant SpaceX et Blue Origin qui s’adonnent déjà au tourisme spatial.
Les risques sont toutefois encore réels, comme l’illustre l’explosion de la fusée-test Starship en avril dernier. Des compagnies d’assurance commencent tout de même à s’intéresser à cette industrie.
L’époque où on cessait tout pour regarder les lancements de navette à la télévision est donc révolue. «C’est devenu ordinaire», résume Alain Grenier.

5) Plongée technique: ceci n’est pas du tourisme
«Il est plus facile d’envoyer quelqu’un dans l’espace qu’au fond de la mer», indique Alain Grenier.
En plongée autonome, le record de profondeur de 332 mètres a été atteint par un plongeur égyptien en 2014.
«On n’est pas prêts de sitôt de le battre. Ça avait demandé toute une logistique», explique Sébastien Pelletier, président des Plongeurs d’épaves techniques du Québec.
Ce club de plongeurs amateurs se concentre presque exclusivement à visiter les épaves du Saint-Laurent. Mais il faut être hautement qualifié et se préparer en amont pour pratiquer ce loisir qui nécessite d’utiliser des mélanges de gaz pour respirer au-dessous des 40 mètres de profondeur, le seuil qui les sépare de la plongée récréative.
«On est un peu masochistes», avoue M. Pelletier, qui a déjà été scaphandrier professionnel.
Les activités de ces «océanautes» se distinguent aussi du tourisme par le fait que les plongeurs collaborent avec les musées et le ministère de la Culture afin de faire part de leurs trouvailles et redonner à la collectivité, explique-t-il.
Étant très réglementée, la plongée demeure une des activités qui résiste au tourisme extrême, note Pierre Gaudreault de l’AEQ.
- Écoutez l'entrevue d'Alexandre Dubé avec Bertrand Sciboz, plongeur sous-marin spécialisé dans la recherche d'épaves via QUB radio :
Des accidents qui ne freinent pas la demande
Les accidents qui transforment certaines aventures en mésaventures, et parfois en tragédies, ne font que donner encore plus de visibilité aux expéditions qui comportent une part de danger, observe un expert.
«Chaque fois qu’il y a un mort, j’ai pensé naïvement que ça mettrait un frein à ces aventures-là. Mais c’est l’inverse», remarque Alain Grenier, professeur spécialisé en tourisme de nature.
Il donne l’exemple du naufrage du navire de croisière Explorer en Antarctique en 2007. Cet événement a stimulé la demande pour le tourisme polaire plutôt que d’en sonner le glas.

Dans la société moderne, le risque est réduit au minimum, ce qui rend nos vies routinières et aseptisées. Mais une fois notre besoin de sécurité comblé, certains vont ressentir le besoin d’affronter l’inconnu.
Certains vont planifier un simple voyage à l’étranger. D’autres vont «jouer à Indiana Jones» pendant les vacances, explique le sociologue. Or, pour que l’expérience soit satisfaisante, la barre doit sans cesse est rehaussée, d’où l’«arrogance» qui en découle parfois.
Qui paie si ça tourne mal?
Le tourisme extrême n’est pas forcément plus populaire qu’avant, mais il est certainement plus médiatisé, note M. Grenier. Des aventuriers vont y gagner de la notoriété, obtenir des contrats de livres ou de conférences.
Or, quand l’aventure tourne mal, c’est toute la collectivité qui doit payer pour l’opération de sauvetage.
Par exemple, quand la guide franco-finlandaise Dominick Arduin est disparue en 2004 en tentant de devenir la première femme à rejoindre le pôle Nord en solo, l’argent des assurances a rapidement été épuisé. Les gouvernements ont ensuite refusé de dépenser pour poursuivre les recherches, résume M. Grenier.
D’ailleurs, peu de compagnies d’assurance acceptent de couvrir le tourisme d’aventure, même lorsque l’entreprise est bardée de certifications, remarque Pierre Challier de Nord Expé.
La contemplation d’abord
De son côté, Pierre Gaudreault de l’AEQ croit que la demande pour le tourisme de contemplation ou de découverte de la nature est plus grande que pour l’aventure, depuis une dizaine d’années.
«La plupart des activités se sont beaucoup démocratisées et sont devenues accessibles. Il y a encore quelques activités niché, mais c’est comme le haut de la pyramide.»
-Avec Le Monde, New York Times, AFP, Le Point, Le Figaro, CNN, Architecture Digest et Libération.
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