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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Des fondations pas vraiment charitables

Plusieurs d’entre elles ont en fait pour principal objectif de réduire les impôts de richissimes familles d’ici

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Photo portrait de Sylvain  Larocque

Sylvain Larocque

2022-02-05T05:00:00Z
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Six des 10 plus grandes fondations privées québécoises se sont contentées, en 2020, de verser en dons le strict minimum requis par l’Agence du revenu du Canada, a constaté Le Journal. 

Selon les règles fédérales, les fondations doivent redonner, chaque année, au moins 3,5 % de leurs actifs disponibles (hors activités de bienfaisance et frais d’administration). 

C’est, grosso modo, ce qu’ont donné en 2020 six des plus grandes fondations québécoises – celles des familles de David Azrieli, André Chagnon, Jean Coutu, Lino Saputo, Jim Hewitt et Morris Goodman. C’est également ce qu’ont donné plusieurs autres fondations importantes, dont celles des familles Molson et d’Alain Bouchard.

Le plancher devient le plafond

Plusieurs fondations prennent l’exigence de verser 3,5 % par année comme un « plafond » et non comme un plancher, relève Jean-Marc Fontan, professeur à l’UQAM spécialisé en philanthropie.

« Le principal objectif recherché par plusieurs fondations privées, c’est de préserver leur capital plutôt que d’être charitables », déplore John Hallward de l’organisme montréalais DONN3.

Cet expert du secteur caritatif rappelle que les contributions financières que les biens nantis font à leurs fondations donnent droit à des crédits d’impôt pouvant atteindre 50 % de la somme versée. 

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En étalant trop dans le temps l’obligation pour les fondations de partager leur richesse, « vous vous retrouvez à pénaliser les contribuables et les gens qui souffrent aujourd’hui », souligne M. Hallward.

Optimisation fiscale

Certaines fondations, des grandes comme des petites, « ne sont pas vraiment au service de la communauté, sont créées à des fins d’optimisation fiscale et ne versent que le minimum requis », constate le PDG de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand, qui estime toutefois que la majorité des donateurs sont bien intentionnés. 

La Fondation Chagnon, la deuxième en importance au Québec, a donné un peu plus de 63 millions $ en 2020, soit à peine 3,1 % de ses actifs disponibles. 

L’organisme respecte toutefois les règles puisque sa moyenne de dons sur cinq ans est supérieure à 3,5 %, indique un porte-parole, Martin Simoneau. D’ici cinq ans, l’objectif est d’atteindre 5 %, ajoute-t-il.

La Fondation Trudeau, qui a donné 3,3 % de ses actifs disponibles de 145 millions $ en 2020, a donné au Journal une explication semblable.

Actifs en hausse

De son côté, la Fondation familiale Trottier figure parmi les plus généreuses au Québec. En 2020, elle a donné 18,6 millions $, soit 9,1 % de ses 204 millions $ d’actifs disponibles. C’était tout de même inférieur au rendement de 13 % obtenu par ses placements.

« Donner 3,5 %, pour nous, c’est trop bas », affirme son directeur, Éric St-Pierre, qui précise qu’en 2019, la fondation a décidé de consacrer plus de ressources à la lutte aux changements climatiques.

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La Fondation J.A. Bombardier s’est aussi démarquée en 2020 avec un taux de remise de 5,3 % de ses actifs disponibles.

« On est comme les autres fondations, on a un souci de pérennité de nos activités, admet sa directrice générale, Sonia Labrecque. Il faut trouver un équilibre. »

Comme les rendements des marchés financiers dépassent habituellement 3,5 % par année, les actifs détenus dans la plupart des grandes fondations augmentent d’année en année, et ce, même si aucune nouvelle contribution monétaire n’y est faite.

Selon les calculs du Journal, les actifs des 10 plus grosses fondations québécoises ont crû en moyenne de 18 % de 2016 à 2020.

Des changements envisagés

En réaction aux critiques grandissantes à l’égard des quelque 100 milliards $ accumulés dans les fondations canadiennes, Ottawa a tenu l’an dernier une consultation sur l’opportunité de faire passer le « contingent de versement » minimal de 3,5 à 5 %, soit le taux qui était en vigueur jusque dans les années 1980.

Selon l’organisme Imagine Canada, pas moins de 84 % des fondations détenant plus de 3 milliards $ pourraient se permettre de donner 10 % de leurs actifs disponibles chaque année sans entamer leur capital. 

La générosité calculée des grandes fondations québécoises

Fondation Dons en 2020 Taux de remise Actifs disponibles en 2020
Azrieli 90,9 M$ 3,7 % 2,5  milliards $
Chagnon 63,2 M$ 3,1 % 2 milliards $
McConnell 29,5 M$ 4,5 % 661 M$
Rossy 24,2 M$ 4,0 % 611 M$
Coutu 22,8 M$ 3,5 % 653 M$
Pathy 12,9 M$ 4,8 % 269 M$
Saputo 11,4 M$ 3,5 % 323 M$
Hewitt 10,3 M$ 3,5 % 290 M$
Jarislowsky 9,1 M$ 3,9 % 231 M$
Goodman 8,6 M$ 3,6 % 240 M$
Jean Coutu (à gauche), Stephen Jarislowsky (au centre) et Larry Rossy (à droite)
Jean Coutu (à gauche), Stephen Jarislowsky (au centre) et Larry Rossy (à droite) Photos d'archives Agence QMI, Chantal Poirier et Pierre-Paul Poulin

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