Des fois, on aimerait mieux oublier...


Josée Legault
La mémoire, dit-on, est une faculté qui oublie. Peut-être, mais pas toujours. Comme journaliste, la mémoire est en fait une faculté dont on n’ose à peine avouer qu’on aimerait bien parfois s’en passer...
Parce qu’avec l’expérience, on finit par comprendre ceci. Au Québec, depuis les premières compressions budgétaires des années 90, certains problèmes se répètent inlassablement sans qu’un gouvernement, quel qu’il soit, ne voie à les régler.
Cette semaine seulement, deux « cas » dont la persistance est désespérante : la nourriture dans les hôpitaux et la maîtrise du français au cégep.
Le Journal rapporte que Natasha Gagliano a choisi de rapatrier à la maison son père Angelo pour ses soins palliatifs. La raison ? Elle était « exaspérée de le voir se faire servir des repas “dégueulasses” à la Cité-de-la-Santé de Laval ».
Des histoires d’horreur sur la nourriture informe servie dans des établissements de santé ou d’hébergement – pas tous, mais plusieurs – sont pourtant connues depuis longtemps. Laissez-moi vous raconter.
À la fin des années 90, je faisais du bénévolat à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Royal Victoria, réputée alors, avec raison, comme étant la meilleure au Canada. Les soins et le personnel y étaient exemplaires.
Comme ailleurs dans le réseau hospitalier, la nourriture qu’on y servait à des personnes en fin de vie était toutefois de piètre qualité. Lorsqu’il nous reste quelques semaines ou quelques jours à vivre, ce n’est pas un détail.
C’était il y a plus de 25 ans...
Un jour que j’apportais son souper à un nouveau patient – un homme charmant au sens de l’humour aiguisé –, en découvrant ce qui gisait dans son assiette, il m’avait regardée tout dépité.
« Comme ça, me lança-t-il, le gouvernement a trouvé le moyen de m’enlever le goût de vivre pour que je lui coûte moins cher. » C’était il y a plus de 25 ans...
Autre problème toujours non résolu. Dimanche, Le Journal rapportait que « plus de la moitié des cégépiens affirment avoir besoin d’aide pour écrire sans fautes, selon une vaste enquête réalisée auprès de milliers de jeunes. Ce constat n’est pas étonnant pour des enseignants qui retrouvent régulièrement dans les copies de leurs étudiants des erreurs qu’on ne devrait plus faire à la fin du primaire ».
C’était il y a plus de 40 ans...
Cette fois-ci, je vous ramène jusqu’au début des années 80. À l’université, durant mes études en histoire et en science politique, j’étais chargée de cours.
Parmi mes étudiants, près de la moitié cumulaient dans leurs travaux un nombre troublant de fautes de français – orthographe, grammaire, syntaxe, etc. Y compris des étudiants frais sortis de collèges privés cossus.
Comme je notais leurs fautes de ma méchante plume rouge, plusieurs, étonnés, venaient s’en plaindre. Ils me disaient que j’exagérais parce qu’au cégep, ils avaient obtenu de très bonnes notes en français. On ne leur avait donc jamais dit que leur maîtrise du français écrit était déficiente.
Évidemment, je leur disais la vérité. C’est-à-dire que la situation ne relevait pas d’eux, mais du système d’éducation. Je les invitais aussi gentiment à redoubler d’efforts pour se corriger eux-mêmes.
Bref, je me voyais obligée de leur conseiller d’agir individuellement parce que le réseau collectif d’éducation avait échoué à leur enseigner un français écrit de qualité.
Et ça, c’était il y a plus de quarante ans. Déjà...