Des femmes juives ultra-orthodoxes font la grève du sexe pour se libérer des hommes: on a parlé à leur leader


Anne-Sophie Poiré
Depuis le 8 mars, plus de 800 femmes d'une communauté juive ultra-orthodoxe de New York font la grève du sexe pour protester contre une loi qui les enferme dans un mariage non désiré et parfois abusif, dénoncent-elles. On a parlé avec la leader du mouvement.
«Le seul moyen de dissoudre un mariage juif orthodoxe est d'obtenir un guet, un document écrit à la main que le mari doit remettre volontairement à sa femme. Trois rabbins doivent également le signer pour finaliser la procédure», explique au bout du fil Adina Sash, 36 ans, une activiste orthodoxe de Brooklyn.

Ces femmes piégées dans des mariages non désirés sont connues sous le nom d'agunahs ou «femmes enchaînées».
«Plus il y a de division entre les sexes dans la communauté, plus le guet est difficile à obtenir», indique celle qui se décrit comme une «féministe religieuse orthodoxe», des mots «dangereux» au sein de sa communauté, dit-elle.
La «propriété des hommes»
Sur les réseaux sociaux et à New York, Adina Sash — connue sous le pseudonyme flatbushgirl — milite depuis de nombreuses années contre la «crise des agunahs».
«Comme le taux de divorce civil augmente chez les orthodoxes, c’est devenu un très gros problème dans les dernières années. Le nombre d'agunahs est en hausse. Et pendant qu’elles attendent le guet de leur mari, elles ne peuvent être dans une relation amoureuse, se remarier et avoir du sexe», souligne Mme Sash.
Les hommes peuvent également utiliser le guet comme monnaie d'échange dans la procédure de divorce, pour de l'argent ou la garde des enfants.
«Il est normal de payer de 20 000$ à 300 000$ pour l’avoir. Certains maris demandent même 1 ou 2 millions de dollars pour dissoudre un mariage. Et le rabbin ne dit rien», signale-t-elle.
«La voix des femmes ne compte pas dans les tribunaux rabbiniques. Elles sont la propriété des hommes.»
Pas de bain, pas de sexe
Parmi ces «femmes enchaînées», il y a Malky Berkowitz, 29 ans.
Elle est devenue le visage de la grève du sexe de la communauté de Kiryas Joel, située à près d’une heure de New York. Dans ce village ultra-orthodoxe, les femmes doivent demander l'autorisation de leur rabbin pour signaler à la police les cas de violence domestique.
Depuis 2020, elle tente d’obtenir un guet auprès de son mari, Volvy Berkowitz, et de cinq différentes cours religieuses, qui refusent de lui octroyer.
Adina Sash s’est saisie du dossier de Malky Berkowitz il y a neuf semaines.
Malgré une campagne de pression auprès des rabbins et des leaders de la communauté, des milliers de courriels et appels robotisés, des manifestations et une bannière «Free Malky» qui a traversé le ciel de New York tirée par un avion, rien ne bougeait.
C’est à ce moment que l’idée de la grève du sexe est apparue.
«J’ai encouragé les femmes de la communauté à arrêter de se rendre au mikveh, un bain rituel où les juives orthodoxes mariées vont pour se purifier après avoir eu leurs règles avant de pouvoir avoir des relations sexuelles avec leur mari», explique Adina Sash.
«Pas de bain, pas de sexe», résume l'activiste.
La mouvement a commencé le vendredi 8 mars dernier, une journée où l'intimité entre époux est considérée comme particulièrement sacrée.
Certaines ne font la grève que les vendredis, tandis que d’autres ont carrément cessé d’avoir des relations sexuelles avec leur mari. Elles espèrent que le boycottage fera pression sur leurs partenaires pour qu'ils soutiennent leur cause.
«Si tu veux mon corps, appelle le rabbin», lance Mme Sash.
Les hommes sont «très très très en colère», poursuit-elle, mais jamais autant que les femmes.
«Il n'y a rien de tel pour les femmes juives, assure la militante. La grève du sexe est considérée comme très hérétique. Elles sont considérées comme des sorcières empoisonnées par l'idéologie féministe. C'est très rebelle.»
Les choses changent
Adina Sash est optimiste.
«Plusieurs femmes m'ont dit qu'il avait été plus facile d’obtenir un guet dans les neuf dernières semaines. Le mouvement leur a permis de prendre la parole dans une communauté où elles ne sont pas autorisées à connaître les règles.»
«Tous les rabbins parlent du guet alors qu'ils l’ignorent depuis des années. Ils savent qu’ils doivent choisir leur camp: l’abus ou les femmes», ajoute-t-elle.
L'activiste estime par ailleurs que ce sont les rabbins qui corrompent la loi depuis une cinquantaine d’années.
«La manière dont le guet est utilisé contre les femmes pour les contraindre dans un mariage n’a rien à avoir avec ce qui est écrit dans la Torah, assure Adina Sash. Ça dit plutôt que le mari doit le lui donner, autrement, le rabbin peut le forcer, même physiquement.»
Depuis 2021 au Royaume-Uni, refuser le document est considéré comme du contrôle coercitif. Un homme de 57 ans a été emprisonné pour avoir refusé de l’octroyer à sa femme en 2022.