Des conseils pour notre hockey, donnés par une légende québécoise trop méconnue


Jean-Nicolas Blanchet
Pour nos Québécois, notre hockey junior est passé d’un tremplin vers le hockey professionnel à un tremplin vers la NCAA aux États-Unis. Prenez ça comme vous voulez. Moi, je trouve ça infiniment triste pour notre hockey.
Je parle ici évidemment des nouvelles règles qui permettent aux joueurs ayant joué dans le hockey junior canadien de faire le saut dans la NCAA.
Pour les joueurs, c’est formidable. Je ferais la même chose à leur place. Avant même de jouer un match pro, un joueur canadien est devenu presque millionnaire cette semaine en joignant une université américaine (957 000$ CA).
Ce qui fait mal, c’est de constater à quel point notre hockey canadien et québécois a manqué de vision pour en arriver là.
Au Canada, on devient une pépinière pour la NCAA. Dès qu’ils seront assez bons ici, ciao bye.
Tirer la couverte
Il y a 15, 20, 30 ans, pourquoi n’a-t-on pas identifié de solutions? Pourquoi n’a-t-on pas tenté de mieux développer des programmes universitaires?
Parce que ça concurrençait notre hockey junior? Parce qu’on a moins d’argent qu’aux États-Unis? Bullshit! On aurait pu y arriver.
Tout était une question de choix. Et tout le monde travaille dans son coin. Tout le monde veut tirer la couverte de son bord. Le résultat: on s’est fait damer le pion. Les Américains nous ont imités, puis dépassés.
Trop tard
Malheureusement, là, c’est trop tard. Le hockey universitaire américain va exploser. Les marchés vont se multiplier, grossir et s’enrichir. Les réseaux de télé vont encore plus embarquer.
Les Américains vont adopter le hockey universitaire comme ils le font dans tous les sports. On a raté le bateau.
Mais chose certaine, tout ça démontre combien il est important de donner une voix aux réformateurs du hockey. Il faut oser. Comme la Suède, qui continue de révolutionner l’enseignement du hockey avec une population comparable à celle du Québec. Trente Suédois ont été repêchés dans la LNH cette année. C’est 22 de plus que la Finlande, 19 de plus que la Tchéquie et 14 de plus que le Québec.
Le jovialiste
L’un des plus brillants réformateurs du hockey chez nous, c’est Georges Larivière. C’est une légende trop méconnue du hockey en Amérique du Nord.

C’est l’un des fameux cinq docteurs du hockey qui ont révolutionné ce sport durant les années 80 en Amérique du Nord. Ils ne sont plus que deux toujours en vie.
Il m’a accueilli dans sa maison à Chambly, où il habite avec Hélène, son épouse. Ça fait 60 ans qu’ils sont mariés. M. Larivière a 83 ans.
«Chaque position au hockey présente des similarités quant à la morphologie. J’ai déjà fait des recherches là-dessus. Toi, tu es en surpoids et plutôt jovialiste, tu serais probablement un gardien de but», me lance-t-il en riant, quelques minutes après que je suis rentré chez lui. Ça partait fort!
Bref, je l’ai vu rapidement. M. Larivière n’a rien perdu de sa passion pour le hockey. Il m’a enchaîné ses théories, critiques, conseils et observations sur le hockey québécois.

Il a été directeur du Département d’éducation physique de l’Université de Montréal, membre du conseil d’administration de Hockey Canada, assistant entraîneur pour l’équipe nationale canadienne junior (médaille d’or), directeur technique de la fédération italienne de hockey, président de Tennis Québec et auteur de nombreux ouvrages.
Dans le milieu, il a surtout été le docteur du hockey qui a réussi à développer des contacts avec le hockey européen pour en importer ses meilleures facettes ici. Pour mieux comprendre à quel point les docteurs du hockey ont transformé notre sport national, c'est à lire ici.

Il n’est pas achalé et ne déroge pas à ses principes. Par exemple, il s’oppose farouchement aux bagarres dans le hockey. Quand il parle de la LNH, il rappelle que c’est un spectacle, comme un commerce. C’est donc normal que les bagarres résistent à ce niveau.
Des principes
Il a coaché 48 matchs dans le hockey junior en 1985 avec les Bisons de Granby. Pierre Turgeon faisait partie de l’équipe.
«Et vous ne vouliez pas que les gars se battent? Ça devait être impossible! Vous ne deviez pas être populaire», lui ai-je lancé.
«C’est pour ça que je n’ai pas coaché longtemps», m’a-t-il répliqué en riant. Mais il s’en fiche. Il suivait ses principes.
«Je passais pour un marginal quand je dénonçais ça à l’époque. Mais je trouve quand même que ça s’est amélioré beaucoup», poursuit-il.
La solution pour notre hockey: le club sportif de demain
Georges Larivière a imaginé à quoi devrait ressembler le club sportif de demain. C’est vers là que le hockey doit aller, à son sens, pour être en santé.
D’abord, M. Larivière s’insurge contre le fait qu’on évalue la qualité de Hockey Québec par le nombre de joueurs professionnels qu’on y développe.
«Ça n’a aucun sens! Est-ce qu’on juge une école secondaire en fonction des médecins qu’ils ont développés?», dénonce-t-il.
Pour que notre hockey soit en santé, il faut voir beaucoup plus large que ça.
À son avis, plus le hockey mineur est encadré, agréable, juste et épanouissant, plus il y aura de joueurs. Et plus il y a de joueurs qui s’amusent et qui persévèrent, plus qu’il y en aura qui seront excellents.
Mais la mission de Hockey Québec, rappelle-t-il, ce n’est pas de développer de futurs joueurs professionnels. «C’est d’offrir un encadrement pour favoriser l’apprentissage des jeunes dans le hockey.»
Comme la Suède
Georges Larivière est donc allergique à la trop grande catégorisation des joueurs à un jeune âge. Le but, c’est que chaque joueur puisse s’améliorer, s’amuser et développer une passion.
Surtout que les joueurs ne se développent pas au même rythme, mais peuvent arriver à la même destination. Il faut éviter d’en perdre en chemin en catégorisant trop vite. C’est exactement ce que fait la Suède pour les jeunes en bas âge, d’ailleurs: pas de catégories et pas de classements.
Il me l’a répété à plusieurs reprises durant l’entrevue: sa sortie ne vise pas à critiquer la LHJMQ ou Hockey Québec. «Depuis une décennie, il y a réellement eu de la bonne volonté, des fautes ont été corrigées. Il y a des plans de développement, des stages pour les entraîneurs, des superviseurs et des dirigeants plus sensibles», poursuit-il.
Son message, c’est que le hockey devienne d’abord un sport de développement pour le jeune. Rien d’autre.

En démocratisant sa pratique pour les jeunes en bas âge et en mettant les bouchées doubles pour améliorer son encadrement, ça va non seulement faire plus d’adeptes, à son avis, mais c’est surtout que ça en fera des jeunes qui sont «moins paresseux, qui vont développer leur attitude en situation de compétition, leur esprit d’équipe, leur respect... ce sera des humains plus complets», continue-t-il.
Du hockey mieux encadré, ça peut devenir un centre d’intérêt pour des jeunes et pas seulement un divertissement. «Un jeune qui n’a pas de centre d’intérêt est un jeune en difficulté», tonne M. Larivière.
Le sport demain
Pour mieux illustrer comment on arrive à tout ça, c’est là que M. Larivière imagine le club sportif de demain.
«À l’école, il y a un suivi. Il y a un bulletin. Tous les individus impliqués dans le développement de l’enfant sont informés de ce qui va ou ne va pas pour lui. Dans le sport, il n’y en a pas assez. Il faut que ça change. Le parent, le coach de baseball ou le coach de hockey l’année suivante doit savoir comment on peut mieux aider l’enfant sur le plan technique ou social», explique-t-il.
Il suggère aussi que les nouveaux arénas qui sont construits doivent être munis d’une salle de conditionnement physique, par exemple, ou d’espaces pour faire d’autres activités.
Ça prend aussi des gens qualifiés pour améliorer l’encadrement des jeunes. On ne peut pas tout demander à des bénévoles.
Il salue d’ailleurs les programmes qui commencent déjà à faire un peu tout ce qui a été écrit dans cette chronique. Plusieurs programmes scolaires au secondaire offrent déjà des encadrements hallucinants. Il faut maintenant uniformiser tout ça dans le hockey québécois, et surtout pour les jeunes en bas âge.
Quand le doc Larivière fouille dans ses boîtes
«On n’avait pas toujours raison. Mais on essayait vraiment plein d’affaires.»
Ce sont les mots de Georges Larivière, qui a plongé dans plusieurs souvenirs en ouvrant plusieurs boîtes de son sous-sol quand il m’a accueilli chez lui.
Je vous le dis, c’est hallucinant, tout ce qu’il m’a montré. Ils étaient des méchants crinqués, ces docteurs du hockey. Aujourd’hui, ça passerait. Mais durant les années 70, c’est plus qu’excentrique.
Les jambières gonflables, ce n’était pas une bonne idée. Mettre de l’huile sur les lames des joueurs, non plus. «Ils allaient beaucoup plus vite. Mais ils ne pouvaient vraiment freiner», m’a-t-il lancé, en riant.
Par contre, toutes leurs expériences et la façon dont ils ont amené la science dans le hockey ont tout révolutionné.
Au début des années 70, à l’exception des points, tout le monde s’en sacrait, des statistiques. Les tactiques collectives, le conditionnement physique, décortiquer les gestes techniques, mesurer les causes de la performance... ça n’existait quasiment pas. Sauf en Europe. Ici, le hockey, on pensait que c’était inné et surtout, qu’on connaissait ça.
Aujourd’hui, la science est partout dans le hockey professionnel; armée de spécialistes en conditionnement physique, tactiques collectives, nutrition, mathématiques, patinage, physiothérapie et étirement accompagnent les clubs.
Voici donc quelques trucs que M. Larivière m’a montrés.


Ce qu’on voit sur les deux photos, qui datent d’un livre publié en 1975, ce sont des appareils pour mesurer le niveau de conditionnement physique des joueurs. Toutes les équipes de la LNH ont ça maintenant et c’est rendu microscopique. Personne ne faisait ça à l’époque. Georges Larivière avait l’air d’un méchant flyé en accordant autant d’importance à ce qui semblait un détail. Et pourtant...

Georges Larivière a fait partie des premiers à donner de l’importance au poids de la rondelle. Il jugeait que les joueurs pouvaient varier le poids de la rondelle pour s’améliorer à l’entraînement. Mais il estimait aussi que les enfants ne pouvaient pas s’améliorer en jouant avec les mêmes rondelles que les adultes. Aujourd’hui, les jeunes enfants jouent avec des rondelles moins lourdes. Il a conservé plusieurs rondelles de ses expériences.

Quand je vous dis que l’approche était scientifique, voici un tableau, publié par M. Larivière en 1975, qui expose les angles parfaits pour favoriser la propulsion d’un patineur lors de ses troisième et quatrième enjambées après un départ. Ça commence à être niché et pas à peu près pour l’époque. Aujourd’hui, tout ça est mesuré avec des capteurs. Les équipes pros accordent la même importance à tout ça.

Je ne ferai pas semblant de comprendre ce qui est écrit ici. Mais rien n’était laissé au hasard avec Georges Larivière. Il n’avait pas la prétention de connaître le hockey plus qu’un autre. Il utilisait la science pour parler. Ce calcul, c’est la façon de mesurer la performance d’un joueur de hockey.