«On se fait avoir pas mal souvent»: des citoyens déçus, maintenant que le projet Northvolt ne tient plus qu’à un fil
Les gouvernements veulent trouver un repreneur, mais les risques du projet sont très élevés, prévient un expert


Sylvain Larocque
Northvolt a finalement déclaré faillite mercredi en Suède, ce qui rend plus hypothétique que jamais le projet d’usine de batteries de l’entreprise au Québec. Malgré tout, le gouvernement Legault refuse encore de jeter l’éponge.
• À lire aussi: Faillite de Northvolt: Québec dit adieu à ses 270 M$ d’investissements en Suède
• À lire aussi: Northvolt déclare faillite en Suède, mais se dit toujours solvable en Amérique du Nord
«En raison des limites de temps et des ressources financières disponibles, l’entreprise n’a pas pu conclure les accords nécessaires pour sécuriser son avenir», a affirmé Northvolt dans un communiqué.
Un tribunal suédois supervisera désormais la vente des actifs de l’entreprise, a-t-on précisé.

La filiale Northvolt Amérique du Nord, qui est établie à Montréal, «demeure solvable», a assuré l’entreprise. Par contre, toute décision la concernant sera prise «par le syndic désigné par le tribunal, en concertation avec les créanciers du groupe».
«Évidemment déçus»
«Nous sommes évidemment déçus de la situation», a déclaré la ministre québécoise de l’Économie, Christine Fréchette, sur X.
Celle-ci a confirmé que les 267,7 millions $ que le gouvernement a investis dans Northvolt à la fin de 2023 ont «perdu leur valeur». Elle a toutefois noté que le prêt de 240 millions $ consenti à l’entreprise «est garanti par nos sûretés sur le terrain et les actifs de Northvolt Amérique du Nord».
«Notre souhait est que le [syndic] se mette à la recherche d’un acheteur qui investira pour reprendre l’ensemble des activités en Amérique du Nord [et] relancer le projet», a-t-elle ajouté.

Les risques financiers et technologiques sont très élevés, a toutefois tenu à rappeler Michel Magnan, professeur de comptabilité à l’Université Concordia.
«Avec la guerre tarifaire et tout ce qui se passe dans le domaine automobile, je pense que n’importe quel investisseur serait probablement hésitant», a-t-il dit.
«On se fait avoir pas mal souvent»
«Ça avait l’air d’être un beau projet au début. Mais là, quand on regarde ça, les millions qu’ont mis Québec et Ottawa... Je trouve qu’on se fait avoir pas mal souvent de ce temps-là», a déploré Serge Côté, un citoyen rencontré mercredi à Saint-Basile-le-Grand.

«C’est une grande perte. Parce qu’on était content de ça, Northvolt», a renchéri une autre citoyenne, Alvina Doucet.

À Ottawa, le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, a fermé la porte à un rachat du projet québécois par des investisseurs chinois.
«On fait notre travail en coulisses pour aider à voir comment on peut préserver cet actif-là chez nous, a-t-il expliqué. [...] Je souhaite que cet investissement-là continue, puis je peux vous assurer qu’on met l’effort pour trouver des partenaires.»
Northvolt s’était placée à l’abri de ses créanciers au Texas au début novembre.
– Avec Martin Jolicoeur, Mathieu Boulay, Raphaël Pirro et Nicolas Lachance
Le projet en bref
Généreuses aides
Québec et Ottawa ont promis plus de 7,3G$ pour attirer Northvolt. Jusqu’ici, le gouvernement Legault a investi 507M$ dans le projet et il était prêt à y injecter 863M$ de plus. De son côté, le gouvernement Trudeau s’est engagé à investir 1,34G$, mais n’a encore rien déboursé. À cela devaient s’ajouter des subventions à la production totalisant 4,6G$, assumées au tiers par Québec et aux deux tiers par Ottawa.
L’Ontario choisit Volkswagen
En avril 2023, l’Ontario a décroché une méga-usine de batteries de Volkswagen – un projet que Québec n’a pas sérieusement considéré. La facture pour les contribuables canadiens pourrait atteindre 16,3G$, selon le directeur parlementaire du budget. Les installations doivent ouvrir en 2027.
Terrain controversé
À 240M$, le gigantesque terrain de Northvolt, qui chevauche Saint-Basile-le-Grand et McMasterville, est le plus cher jamais vendu au Québec. Huit ans plus tôt, il avait été vendu 20M$. Selon un observateur avisé du marché qui a requis l’anonymat, il est loin d’être certain que le lot pourrait être revendu au même prix en cas de liquidation.
De nombreux problèmes
Pour expliquer sa déconfiture, Northvolt a reconnu mercredi avoir fait face à «des défis internes importants liés à l’augmentation de sa production», ce à quoi se sont ajoutés des «changements dans la demande», la hausse des taux d’intérêt, l’«instabilité géopolitique» et des «perturbations» en matière d’approvisionnement. Pendant les neuf premiers mois de 2023, Northvolt a livré pour 79,8 MWh de cellules de batterie, soit moins de 5% de la capacité totale de production de ses installations suédoises.
Dans leurs mots
«Je suis très fier d’annoncer le plus grand investissement privé de l’histoire récente du Québec»
– Le premier ministre François Legault lors de l’annonce du projet québécois de Northvolt, en septembre 2023
«Cette annonce vient compléter une filière stratégique qui va transformer l’économie québécoise»
– Pierre Fitzgibbon, alors ministre de l’Économie, lors de l’annonce de septembre 2023
«La décision de Northvolt de choisir le Québec parmi plus de 70 endroits pour lancer son projet constitue un témoignage de confiance»
– Le ministre fédéral François-Philippe Champagne lors de l’annonce de septembre 2023
«Quand je vois un budget ou un échéancier, je pense toujours qu’il doit y avoir des façons de couper de 30% ou 40%»
– Peter Carlsson, cofondateur de Northvolt, en février 2024
«Northvolt Six [le projet québécois] est une composante essentielle de l’avenir de l’entreprise et nous restons pleinement engagés à le mener à bien»
– Paolo Cerruti, PDG de Northvolt Amérique du Nord, après que la société mère se fut placée à l’abri de ses créanciers, en novembre
En quelques dates
Février 2023
Pierre Fitzgibbon, alors ministre caquiste, déjeune avec Paolo Cerruti, cofondateur de Northvolt, au restaurant Osco, à Montréal. Une autre discussion aura lieu en mai.
Septembre 2023
Northvolt annonce officiellement le lancement de son projet d’usine au Québec, évalué à 7G$.
Octobre 2023
Northvolt débourse pour acheter un gigantesque terrain en Montérégie des mains d’un groupe d’investisseurs mené par Luc Poirier, Alice Wu et Serge Gariépy.
Juin 2024
BMW annule un contrat de 3 G$ CA.
Juillet 2024
Northvolt révèle avoir subi une perte nette de 1,6G$ CA en 2023, soit quatre fois plus qu’en 2022.
Novembre 2024
Northvolt se place à l’abri de ses créanciers au Texas. Peter Carlsson, l’un de ses cofondateurs, quitte l’entreprise. Paolo Cerruti fera de même en janvier.
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.