Publicité
L'article provient de Le Journal de Montréal
Monde

Russie : comme Navalny, des blogueurs ferraillent contre la corruption

AFP
Partager

AFP

2022-02-01T11:31:18Z
Partager

Dans une banlieue moscovite, deux blogueurs se disent victimes de harcèlement judiciaire. Leur forfait, selon eux, dénoncer la corruption des autorités locales à la manière de l’opposant Alexeï Navalny, emprisonné depuis un an.

• À lire aussi: Navalny: l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe réclame une enquête à la Russie

• À lire aussi: La Russie lance un mandat d'arrêt visant le frère de l'opposant Navalny

• À lire aussi: La Russie ajoute l’opposant Navalny au catalogue des «terroristes et extrémistes»

Koroliov, petite ville à six kilomètres de Moscou, est la capitale «spatiale» russe. Elle abrite le fameux Tsoup, le centre de contrôle des vols dans l’espace.

Igor Grichine, 25 ans, et Roman Ivanov, 48 ans, s’y sont donné une mission : lutter pour la conservation de bâtiments historiques et de parcs menacés par l’avidité, selon eux, de promoteurs et de l’administration locale. 

Igor montre le quartier Frounzé qu’il défend sur son blogue : 20 petites maisons multicolores en briques de deux à quatre étages construites de 1946 à 1953 et où vécurent les pionniers du programme balistique soviétique et du premier satellite, Spoutnik, Sergueï Krioukov et Konstantin Bouchouïev. 

Selon lui, les promoteurs rêvent de démolir ce petit faubourg intime entouré d’arbres pour le remplacer par des tours de 25 étages grises et sans visage.

Publicité

«J’adore Koroliov, j’y suis né et je veux défendre ce que j’aime», dit-il. 

Main nourricière

Munis de téléphones et de perches à selfie, Grichine et Ivanov se posent en contrepouvoir, dans un pays où les médias indépendants ont été réduits à la portion congrue.

Depuis l’arrestation d’Alexeï Navalny le 17 janvier 2021, les pressions contre la presse, les blogueurs et les opposants ont été décuplées. Les listes officielles des «agents de l’étranger» -- sorte de statut d’ennemi d’État -- et des «extrémistes» s’allongent sans cesse. 

Roman Ivanov, qui a été journaliste pendant plus 20 ans, affirme avoir été limogé d’une chaine de télévision publique en mai dernier parce qu’il avait créé sa chaine YouTube, «Koroliov Honnête», forte aujourd’hui de 5 000 abonnés.

«Mon chef m’a convoqué pour m’annoncer mon renvoi parce que, selon lui, je n’avais pas à mordre la main qui me nourrissait», raconte-t-il assis dans un café de la ville. «Dans la Russie d’aujourd’hui, le journalisme a été remplacé par la propagande», dénonce-t-il.

Il a créé sa chaine YouTube en 2019 après avoir participé à une manifestation contre le maire de l’époque, accusé de profiter de ses liens avec des promoteurs immobiliers.

Dans ses vidéos, Roman dénonce aussi des fraudes électorales, accuse les responsables de la mairie de vouloir détruire des parcs et des monuments historiques, et d’avoir illégalement privatisé des appartements appartenant à l’État.

Interrogée par l’AFP sur ses accusations, la mairie de Koroliov n’a pas répondu.

Pour Roman, les enquêtes sur la corruption de hauts responsables mises en ligne depuis des années par Alexeï Navalny et son équipe sont un exemple de «journalisme d’investigation».

Publicité

«Dans notre ville, pratiquement tous les médias sont financés par l’administration. Ce qui nous reste, c’est internet et les réseaux sociaux», explique pour sa part Igor Grichine, rédacteur en chef du blogue indépendant «Koroliov officiel» sur le réseau social russe Vkontakte.

Mais même les géants du numérique ne sont pas à l’abri : Facebook, Telegram ou YouTube ont reçu de nombreuses amendes, notamment pour la publication de contenus critiques du pouvoir déclarés illégaux. Apple et Google ont, eux, dû supprimer en Russie de leurs boutiques l’une des applications d’Alexeï Navalny.

Des victoires et des poursuites

Selon M. Ivanov, les publications des deux militants et la mobilisation de riverains ont «sauvé quatre parcs qui devaient être rasés pour y construire des centres commerciaux».

Autre victoire, le départ forcé en octobre 2021 du maire Alexandre Khodyrev, mis en cause par dans un scandale de falsification électorale par le journal Novaïa Gazeta, dont le rédacteur en chef Dmitri Mouratov est lauréat du prix Nobel de la paix.

Mais ces activités ne sont pas sans risques. Fin octobre, les domiciles d’Igor Grichine et Roman Ivanov ont été perquisitionnés, leurs ordinateurs et téléphones saisis.

Grichine est poursuivi dans une affaire de bagarre alors qu’il couvrait les législatives, et Ivanov pour avoir violé le secret de l’instruction dans un dossier d’accident de la route. 

Les autorités veulent ainsi «faire peur aux activistes», affirme M. Ivanov. Igor Grichine y voit lui une «vengeance» de l’ex-maire.

Pour le moment, ils s’estiment chanceux. Deux blogueurs d’une autre banlieue moscovite, Alexandre Dorogov et Ian Katelevski, sont en prison depuis juillet 2020, accusés de chantage sur un policier qu’ils accusaient de corruption.

Publicité

«Notre chaine sur YouTube a été supprimée pour cacher les faits que nous y avons publiés : pots-de-vin, corruption au sein d’entreprises funéraires, de la police, du comité d’enquête et du parquet», a indiqué à l’AFP M. Dorogov. Il risque 15 ans de prison. 

Des médias contraints de supprimer des contenus liés à Navalny

Plusieurs médias russes ont indiqué mardi avoir supprimé sous la pression des autorités des articles relayant des enquêtes de l’opposant Alexeï Navalny, notamment une investigation retentissante sur le «palais de Vladimir Poutine».

Au moins sept médias (Dojd, Meduza, Znak, Echo de Moscou, Svobodnye Novosti, The Village, Boumaga) ont indiqué avoir reçu des notifications du gendarme des télécoms, Roskomnadzor, leur demandant d’effacer des dizaines de contenus.

Selon ces médias, il s’agit d’articles faisant l’écho d’enquêtes de l’équipe du militant anticorruption Alexeï Navalny, emprisonné depuis plus d’un an et considéré comme le principal opposant à Vladimir Poutine.

L’une de ces enquêtes, qui ciblent des hauts responsables du Kremlin, concerne le «palais» supposé de Vladimir Poutine sur les bords de la mer Noire.

Publiée en janvier 2021 sur YouTube, quelques jours après l’arrestation de M. Navalny, cette enquête a depuis récolté plus de 121 millions de vues. Le Kremlin a démenti que la demeure appartienne à M. Poutine.

La radio Echo de Moscou, la chaine de télévision Dojd, les médias indépendants Znak et Meduza et l’agence de presse locale «Svobodnye Novosti» ont d’ores et déjà indiqué avoir supprimé les contenus indiqués par Roskomnadzor.

Meduza a précisé avoir cédé «sous la menace d’un blocage de son site en Russie». Contacté par l’AFP, Roskomnadzor n’a pas confirmé dans l’immédiat avoir envoyé ces demandes.

«Roskomnadzor exige de changer la réalité, de nettoyer internet et d’annuler les faits», a dénoncé pour sa part sur Twitter Léonid Volkov, un proche en exil de M. Navalny.

Selon les médias concernés, citant les notifications de Roskomnadzor, le Parquet russe a demandé la suppression de ces contenus en ligne, car ils sont liés à une organisation «extrémiste» interdite en Russie.

En juin 2021, les principales organisations de M. Navalny ont été désignées «extrémistes» par la justice russe, une décision ayant entrainé leur fermeture et des poursuites judiciaires contre nombre de leurs militants.

Le 25 janvier, M. Navalny a lui-même été placé sur la liste officielle des «terroristes et extrémistes».

En parallèle, les autorités russes n’ont cessé de renforcer leurs pressions sur internet, à coups d’amendes visant les géants du numérique n’ayant pas supprimé des contenus liés à M. Navalny et en bloquant des sites d’opposition.

À VOIR AUSSI 

Publicité
Publicité