Les fonctionnaires tuent des chevreuils par prévention

Nora T. Lamontagne
Le maire de Grenville-sur-la-Rouge plaide pour la décontamination totale du terrain d’une ferme d’élevage après que des chevreuils sauvages ont été abattus par le ministère de la Faune, près d’une zone fréquentée par des bêtes atteintes de la maladie du cerf fou.
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« Mettre une clôture autour des enclos et dire que tout est beau, ce n’est pas acceptable pour moi », affirme sans détour Tom Arnold, à la tête de la petite municipalité des Laurentides.
Ses inquiétudes sont liées à une éclosion de maladie débilitante chronique (MDC), aussi appelée maladie du cerf fou, qui a touché une dizaine d’animaux de la ferme d’élevage Harpur en 2018.
Maire de Grenville-sur-la-Rouge
À l’époque, les 3200 cerfs du cheptel avaient été tués et la chasse avait été interdite dans un rayon de 400 km2 pour éviter que d’autres animaux contractent cette maladie mortelle.
Québec avait même engagé une firme américaine pour capturer des cerfs dans une zone interdite aux chasseurs québécois afin de prélever des échantillons sur leurs dépouilles.
Le plan de décontamination de la ferme, approuvé par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), prévoyait aussi que les enclos fréquentés par les bêtes infectées soient condamnés par une clôture, entre autres mesures.
Sol à découvert
Or, le maire Arnold affirme que le sol potentiellement contaminé par l’agent pathogène de la maladie n’a pas été recouvert de terre. L’ACIA n’a pas répondu à nos questions à ce sujet.
De surcroît, l’élu s’alarme du fait qu’une biche et ses deux faons se soient introduits sur la propriété de la ferme, le 29 octobre, dans une section adjacente à celle désignée « hautement contaminée » par l’ACIA.
Quelques heures plus tard, des agents du ministère de la Faune ont abattu les trois animaux, avant de faire tester la carcasse de la femelle. Le résultat n’est pas encore connu.

« Considérant la sensibilité du cerf de Virginie à la MDC et l’historique du site, le [ministère] n’a pris aucun risque », explique le relationniste Daniel Labonté.
Même si l’Agence fédérale soutient qu’une enquête n’a pas démontré de risque accru pour les cervidés d’attraper la maladie dans cette zone, le maire Arnold n’est pas rassuré.
« Nos avocats regardent de quelle façon on peut forcer qui de droit à faire le nettoyage », précise-t-il.
Un risque réel
Selon un biologiste à la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs Michel Baril, le danger de contamination à proximité des anciens enclos est bien réel.
Le ruissellement de la terre lors des grandes pluies ou les déplacements des centaines d’oies « qui pataugent dans la crotte de cerf » pourraient véhiculer le pathogène à l’extérieur du périmètre.
« Le risque est là », affirme-t-il, inquiet des ravages que pourrait causer la maladie parmi les cervidés sauvages, comme c’est le cas en Saskatchewan et en Alberta.

Un rapport d’évaluation du terrain décontaminé commandé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec est attendu d’ici la fin de l’année.
La ferme Harpur n’a pas répondu aux questions du Journal.
Décontamination dispendieuse
De son côté, l’association Cerfs rouges du Québec rappelle les frais « énormes » d’une décontamination impliquant le prélèvement et le remplacement de 5 cm de sol sur une aussi grande étendue.
« C’est impensable qu’un propriétaire particulier puisse assumer cette facture », affirme le président Gaétan Lehoux.
Si cette solution était choisie, M. Lehoux voudrait que le gouvernement fédéral, plutôt que le producteur, soit responsable de la décontamination.
► Depuis l’éclosion de 2018 à la ferme Harpur, aucun autre cas de maladie du cerf fou n’a été recensé dans la province.
Qu’est-ce que la maladie débilitante chronique ?
- Elle se traduit par des troubles dégénératifs progressifs, rares et fatals du cerveau.
- Actuellement incurable, elle est due aux transformations d’une protéine en une forme altérée, appelée prion.
- Le cerveau des humains et des animaux atteints d’une maladie à prion subit des lésions qui entraînent une dégénérescence du système nerveux central.
- Indestructible, la protéine responsable de la maladie se propage dans les excréments, les fluides corporels et par contact direct. La propagation peut se faire par l’eau ou par la terre contaminée.