Des archéologues déchiffrent de mystérieuses inscriptions sur un peigne à poux du XIXe siècle retrouvé à l’île aux Noix

Maude Bouchard-Dupont
C’est aujourd’hui qu’a lieu la grande réouverture du fort Lennox sur l’île aux Noix, après cinq ans de rénovations majeures. C’est l’occasion de s’intéresser aux dernières recherches des experts de Parcs Canada sur cet intrigant peigne à poux portant de mystérieuses inscriptions, mais aussi de redécouvrir ce site extraordinaire qui a été à l’avant-plan de l’histoire militaire depuis la Nouvelle-France.
« Tout cedict pays est fort uny, remply de forests, vignes & noyers », évoque Samuel de Champlain lors de son exploration de la rivière Richelieu en 1609. À la jonction des territoires des Abénaquis (Wabanakis), des Iroquois (Haudenosaunee) et près des Treize Colonies, l’île aux Noix est aux premières loges de l’histoire.
La dernière bataille pour la Nouvelle-France
Lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763), une première fortification est érigée sur le site. Devant l’avancée des forces britanniques, les forts français de Saint-Frédéric et Carillon, au sud du lac Champlain, sont abandonnés. Les troupes françaises se replient plus au nord, à l’île aux Noix, nouvellement fortifiée pour servir d’avant-poste défensif de Montréal.
Après la prise de Québec, en 1759, l’île aux Noix est le théâtre des derniers affrontements. Les 12 jours de siège culminent par un ultime bombardement intensif. De Bougainville ordonne la retraite dans la nuit du 27 au 28 août 1760. L’île tombe aux mains des troupes du colonel Haviland. L’armée d’invasion remonte le Richelieu, rejoignant celles de Murray et d’Amherst. À Montréal, Vaudreuil signe la capitulation quelques jours plus tard.

Les Américains attaquent !
Malgré la signature du Traité de Paris de 1763, les tensions demeurent avec nos voisins du Sud. Dans la foulée de la révolte du Boston Tea Party, les rebelles américains s’emparent de l’île aux Noix laissée sans garnison en 1775, avant de lancer leur assaut sur le fort Saint-Jean. Ils s’en serviront pour couvrir leur retraite l’année suivante, faute d’avoir conquis la Province of Quebec.
Lors de la guerre de 1812, les navires américains Growler et Eagle remontant le Richelieu sont capturés à l’île aux Noix. Le chantier naval de l’île est mis à contribution pour faire contrepoids à la flotte américaine sur le lac Champlain.
L’île aux Noix voit finalement s’ériger une véritable forteresse entre 1819 et 1829. Entourée d’un fossé, l’enceinte bastionnée comprend plusieurs bâtiments, dont une caserne pouvant loger jusqu’à 419 soldats. Le fort Lennox prend vie.

Sur les traces de Thomas Lake (1830-1869)
Oublié, jeté ou perdu ? Cet artefact a été trouvé en 1967 lors d’une intervention archéologique sous le plancher du rez-de-chaussée de la caserne du fort Lennox. Ce peigne à poux n’a probablement servi qu’à un seul soldat, ce qui prévient, bien sûr, la propagation des parasites au sein de la garnison.
Bien que le peigne porte des inscriptions laissées par son propriétaire (T. L. 392), le défi pour l’identifier reste colossal : des milliers de soldats se sont succédé au fort Lennox au XIXe siècle !
C’est grâce au recoupement des recherches archéologiques et historiques effectuées dernièrement par les chercheurs de Parcs Canada qu’il a été possible d’identifier Thomas Lake comme le militaire propriétaire de ce peigne. Ces découvertes récentes révèlent également l’étonnant parcours de ce soldat.
« Engagez-vous, vous verrez du pays. » Né en Angleterre en 1830, Thomas Lake est mentionné pour la première fois dans les archives de l’armée britannique en 1841. À 11 ans, il est alors joueur de tambour pour le 1er régiment d’infanterie (Royal Scot) avec le 2e bataillon à London au Haut-Canada (Ontario). Quand est-il arrivé au Canada ? Était-il en compagnie d’autres jeunes soldats comme lui ? Le mystère plane sur les premières années de sa vie.
En chemin vers la Barbade en 1843, le jeune musicien et son bataillon font naufrage au large de Cap-Chat. Sain et sauf, Thomas Lake arrive finalement dans les Antilles l’année suivante.

Puis, en 1845, c’est le retour vers la mère patrie. Il est déployé à plusieurs endroits dans l’archipel britannique, notamment en Irlande, où il rencontre son épouse, Elizabeth Tobin, avec laquelle il aura six enfants. Par leur travail, les épouses des simples soldats et des sous-officiers contribuaient à améliorer la vie collective de la garnison.
Après un bref postage à Corfou en Grèce, Thomas Lake rejoint le Royal Canadian Rifle (RCR) en 1858 où il reçoit le matricule 392. C’est ainsi qu’il revient au Canada avec sa famille.
En tant que musicien, Thomas Lake aurait fait partie de l’orchestre du RCR qui accompagne le prince de Galles en visite à Montréal en 1860 à l’occasion de l’inauguration du pont Victoria, considéré alors comme la huitième merveille du monde !
Après plusieurs déploiements, c’est finalement en juillet 1868 que le soldat Thomas Lake arrive à fort Lennox en pleine crise de raids frontaliers menés par des nationalistes irlando-américains, les Féniens, qui s’opposent à la présence des Britanniques en Irlande. Leur objectif est de provoquer un affrontement armé entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, de sorte que celle-ci sera obligée de retirer ses troupes d’Irlande et qu’elle pourra réaliser son indépendance.
Le Canada est le terrain où se joue cette « crise ».
Peu après ces événements et, ironie du sort, Thomas Lake se noie dans les eaux de la Richelieu alors qu’il n’a que 39 ans. Il laisse dans le deuil son épouse et ses enfants. Ses descendants font souche au pays, notamment dans la région d’Ottawa.
Un fort historique, un lieu de villégiature
Construit dans un climat de tensions bien réel entre le Canada et les États-Unis, le fort Lennox est occupé par l’armée britannique de 1829 à 1870, sauf durant un intermède pendant lequel il servit de prison de réforme à la fin des années 1850. Entre-temps, il avait servi de lieu de détention transitoire pour des Patriotes en décembre 1837.
Graduellement démilitarisée après 1870, l’île devient une destination de villégiature, surtout au XXe siècle, où l’on vient camper et pique-niquer durant la période estivale. De 1940 à 1943, l’île sert de camp de réfugiés pour des juifs que la Grande-Bretagne transfère au Canada. Après le conflit, la Jeunesse étudiante catholique (JEC) y installe son propre camp de vacances pour adolescents : Noisette-ville.
Parallèlement aux activités de villégiature, le fort Lennox est désigné lieu historique national en 1920. Le Service des parcs nationaux du Canada reçoit l’importante mission de restaurer les lieux, de les mettre en valeur et d’accueillir les visiteurs, moyennant une courte traversée sur la Richelieu.
Visitez l’île aux Noix à l’été 2023. Pour planifier votre excursion au fort Lennox, visitez le site officiel de Parcs Canada : parcs.canada.ca/lhn-nhs/qc/lennox/visit
C’est arrivé un 17 juin...
1673
Jacques Marquette, Louis Jolliet et leurs cinq compagnons atteignent le Mississippi.

1818
Naissance de Charles Gounod, compositeur français.
1885
Arrivée de la Statue de la Liberté à New York.

1903
Départ de Roald Amundsen pour tenter le passage du Nord-Ouest.
1940
Naufrage du paquebot transatlantique Lancastria, qui entraîne entre 4000 et 6000 victimes.
1958
Effondrement du pont de Vancouver, causant la mort de 18 personnes.
2013
Arrestation du maire par intérim de Montréal Michael Applebaum pour une affaire de corruption.