D'anciens employés de la CAQ confirment qu'ils utilisaient un logiciel fichant les citoyens selon leurs allégeances politiques
Nicolas Lachance et Geneviève Lajoie
D’anciens employés caquistes confirment que les renseignements partisans sont consultés et utilisés pour la gestion des demandes de citoyens dans les comtés et même les cabinets de ministre.
L’outil Coaliste est «une machine de guerre pour la CAQ», mentionne une ex-employée d’un bureau de circonscription.
Il s’agit d’un logiciel partisan conçu et utilisé par la CAQ pour faire du pointage durant les élections.
Tous les employés et ex-employées de la Coalition Avenir Québec qui se sont confiés à notre Bureau parlementaire ont requis l’anonymat par peur de représailles et par crainte de se retrouver sur la «blacklist» de la formation.
La commissaire à l’éthique Ariane Mignolet a découvert durant une enquête sur le député Sylvain Lévesque que le bureau de circonscription de Chauveau a eu recours à la plateforme Coaliste lors du traitement des dossiers des citoyennes et citoyens.

«Pour un organisme communautaire qui faisait une demande de financement, on regardait la couleur politique des dirigeants», a souligné cette ex-employée d’un comté de la région de Québec.
L’objectif est de savoir qui sont les sympathisants, a expliqué une autre source caquiste.
Ainsi, dans tous les bureaux de circonscription de la CAQ, les citoyens sont fichés en fonction de leur allégeance politique. Dans son rapport, la commissaire demande à la CAQ de couper les accès à ce logiciel qui devrait servir uniquement à des fins électorales.
«On peut tout faire»
C’est la directrice générale de la CAQ, Brigitte Legault, qui est le «cerveau» derrière la création du logiciel. Elle forme et encourage les employés à l’utiliser fréquemment, même «tous les jours», explique-t-on.
Confrontée par le Jounal, Mme Legault a nié cette affirmation.
On y retrouve la liste électorale avec code de couleur: «si c’est rouge [libéraux], si c’est bleu [péquiste], si c’est orange [Québec solidaire], on le sait».
«C’était tout le temps ouvert sur les ordinateurs. On passait des journées à organiser des évènements partisans. C’était fou», signale la source.
Des employés actuels et d’ex-employés ont confirmé qu’ils utilisaient Coaliste fréquemment, mais pour du travail partisan sur leurs ordinateurs personnels, à l’extérieur du bureau et des heures de circonscription, ont-ils plaidé.
Pourtant une autre source ayant travaillé dans le bureau de comté d’un élu caquiste dans le Centre-du-Québec réfute cette défense, en assurant que la liste était utilisée sur les heures de travail.
Classement des caquistes
Même dans les cabinets, Coaliste est utilisé pour «avoir un background» des personnes qui viennent rencontrer le ministre ou qui veulent le faire, relate une autre personne ayant travaillé pour un ministre.
Des centaines de personnes souhaitent rencontrer les élus et, pour faire le tri, le logiciel est utilisé. Même les caquistes sont triés selon leur degré de partisanerie, explique cette source.
Les plus fidèles caquistes sont classés 5. Ceux qui sont le sont un peu moins, 4. Puis, les plus volatiles ont une note de 3.
Les citoyens les plus fatigants et intenses sont rencontrés rapidement pour qu’ils cessent d’achaler les élus, dit-on.
«Tous les staffs, tout le personnel des cabinets et les députés y ont accès» confirme l’ex-employé.
Brigitte Legault répète que l’outil respecte les règles du Directeur général des élections.
La CAQ se défend, le PQ demande des précisions
Le leader du gouvernement Simon Jolin-Barrette assure que les caquistes ne consultent pas les allégeances politiques d’un citoyen avant de lui donner un service.
«Relativement à la Coaliste, elle n’est pas utilisée pour pointer ou pour identifier des citoyens. Tous les citoyens québécois qui se présentent dans n’importe quel bureau de comté au Québec [...] sont traités en fonction de leurs besoins», a déclaré le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.
Tous les partis politiques possèdent des outils afin de faire du pointage durant les campagnes électorales. Le problème, selon la commissaire à l’éthique Ariane Mignolet, c’est que l’outil est utilisé par des députés et des employés de circonscription.
La directrice générale de la CAQ, Brigitte Legault, a confirmé que le logiciel était présent dans les bureaux de tous les élus caquistes pour donner un accès à la liste électorale.
Le Parti Québécois signale aussi que «certains employés de circonscription ont également accès en parallèle au logiciel de gestion des données du parti», mais que «celui-ci n'est jamais utilisé pour traiter les cas de circonscription».
D’ailleurs, la formation souverainiste réclame des explications de la part de la commissaire, car il s’agit, selon elle, d’une tradition.
«À la lecture de la décision, si la commissaire a des recommandations à faire sur l'utilisation, nous l’invitons à les préciser, car ces outils ont historiquement toujours été présents dans les bureaux de circonscriptions», a mentionné le porte-parole, Emmanuel Renaud.
Le PLQ a également un logiciel, mais soutient que les accès sont très limités et que les personnes autorisées ne peuvent pas l’utiliser dans les bureaux de circonscription.
Québec solidaire assure que son outil électoral ne peut pas être utilisé par les employés politiques et de circonscription.
Coaliste:
- Un logiciel de pointage électoral développé par la CAQ
- Croise les données de la liste électorale avec celles des électeurs, amassées sur le terrain et dans les réseaux sociaux
- A coûté 1 M$, tel que le révélait notre Bureau d’enquête en 2017
- A été utilisé pour la première fois lors de l’élection partielle remportée par Geneviève Guilbault en 2017
- Le président de la CAQ de l’époque qualifiait cet outil «d’arme secrète»
À l’aube des élections de 2018, notre Bureau d’enquête présentait d’autres logiciels utilisés par les partis:
- Libéraliste est utilisé par le Parti libéral du Canada depuis une quinzaine d’années
- Lib-Contact est calqué sur Libéraliste, et utilisé par le Parti libéral du Québec
- Gestion PQ est utilisé par le Parti Québécois
- La Base est utilisée par Québec solidaire
- Avec la collaboration de Marie-Christine Trottier
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