«Depuis qu’il a acheté l’immeuble, on vit un cauchemar»: des locataires résistent contre un «super rénovicteur»
L’investisseur de 29 ans a réussi à faire partir une soixantaine de leurs voisins


Clara Loiseau
Coupures de chauffage, souris, inondations répétées: une quinzaine de locataires se battent contre un «rénovicteur» en série pour garder leur logement qu’ils occupent pour certains depuis 30 ans.
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«Depuis qu’il a acheté l’immeuble, on vit un cauchemar», s’insurge Rida Zerrok contre son nouveau propriétaire, le reconnu «rénovicteur» Henry Zavriyev.
Rencontrés par Le Journal dans son logement du 95, boulevard Deguire, dans Saint-Laurent, M. Zerrok et ses voisins ont décrit les conditions de vie inhumaines que leur fait vivre leur locateur.
Dans cet immeuble de 77 appartements, seuls 15 d’entre eux sont encore occupés par des familles avec des enfants, mais aussi par des personnes âgées qui veulent surtout garder leur logement.
«Avant, c’était l’immeuble du coin le mieux entretenu parce que le concierge avait son bureau au rez-de-chaussée», se remémore Afaf Kazan, 73 ans, qui vit ici depuis plus de 30 ans.
Par courriel, M. Zavriyev a indiqué que l’immeuble était «impropre à l’habitation et que les locataires qui retardent sa réfection s’exposent à de graves problèmes de santé».
Par voie de communiqué cet après-midi, ce dernier a par ailleurs interpellé la Santé publique pour exiger la fermeture du bâtiment.
Dégradation
Mais les locataires s’accordent tous pour dire que l’immeuble se détériore rapidement depuis que M. Zavriyev en est devenu le propriétaire.
Le Journal a pu constater que les appartements occupés étaient en bon état.
Les tapis des couloirs ont été arrachés, le ménage n’est plus fait et les fenêtres des appartements vacants sont parfois laissées ouvertes, permettant à la neige, à la pluie et au froid de s’infiltrer.
Plusieurs plaintes ont été formulées par les locataires à l’arrondissement, sans que rien ne change, déplore M. Zerrok. Pour sa part, l’arrondissement a confirmé avoir reçu 12 plaintes depuis le mois de mars 2022.
La situation est telle que des résidents ne peuvent même plus sortir de chez eux, craignant de se blesser.
C’est le cas de Nazir, 92 ans. Ayant beaucoup de difficulté à marcher, même avec une marchette, il n’ose plus sortir de son logement à cause de l’état des couloirs, qui comptent de nombreux trous.
«Je préférerais mourir que continuer de vivre ici», laisse tomber l’homme en larmes, qui vit là depuis 2010.
«La semaine dernière, il a loupé son rendez-vous chez le médecin à cause de cela», souffle sa femme, Marin Moalem Jourji, 87 ans.
Chauffage coupé
Les locataires dénoncent aussi qu’on leur coupe le chauffage les fins de semaine.
«Quand il a fait -45 degrés, personne n’avait de chauffage ici. Il faisait 9 degrés chez nous», affirme Hussein Hassoun.
Les locataires se retrouvent aussi avec des problèmes de souris et vivent avec des pièges dans leur appartement.
«Mon fils est traumatisé et ne veut plus dormir seul depuis qu’une souris est rentrée dans son lit pendant une nuit», explique Rodney Boutin, en pointant deux souris prises dans un piège dans sa petite cuisine de l’appartement 404.
Pressions
Les locataires affirment aussi subir des pressions pour quitter les lieux.
«Un des employés du propriétaire m’a demandé si j’étais légalement ici, comme s’il voulait me faire peur», soutient Ivan Babin.
On a proposé à d’autres plusieurs milliers de dollars pour qu’ils déguerpissent.
Dans l’immeuble, la plupart des résidents paient moins de 1000 $ pour des trois pièces et demie ou des quatre pièces et demie. Plusieurs appartements, à peine rénovés, ont été affichés à 1200 $ par mois.
Des locataires s’inquiètent d’être «rénovictés» en toute impunité

Investisseur redouté des locataires et comités logements de Montréal; un «super rénovicteur» continue de sévir en toute impunité.
«Ce n’est pas normal que quelqu’un puisse mettre dehors 77 familles en toute impunité», s’exaspère Hussein Harroun, qui réside au 95, boulevard Deguire, à Montréal.
Ce dernier, qui refuse de quitter son logement, résiste depuis près d’un an avec une quinzaine de locataires contre leur nouveau propriétaire: Henry Zavriyev.
Millier de portes
Depuis quelque temps, ce nom est bien connu des comités logements montréalais. C’est que ce jeune investisseur de 29 ans est propriétaire de plus de 1000 portes au Québec et est à l’origine de centaines d’évictions dans des résidences pour aînés (RPA) comme celles de Mont-Carmel, de Chateau Beaurivage ou encore de la Seigneurie de Salaberry.
Outre les RPA qu’il compte rénover et convertir en appartements locatifs de luxe, cet investisseur immobilier s’attaque aussi aux immeubles à logements dans Saint-Laurent, Anjou, Ville-Marie, Rosemont–La Petite-Patrie, Le Plateau-Mont-Royal, pour ne citer que ces quartiers.
«Ce qu’il fait est souvent assez spectaculaire, puisqu’il achète des immeubles avec des centaines de locataires et a toujours le même but : flipper l’immeuble», explique Martin Blanchard, du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).
Stratagèmes
Une fois que Zavriyev est propriétaire, ses locataires subissent presque tous le même stratagème afin qu’ils partent : ils se font proposer de grosses sommes d’argent, subissent de la pression de la part d’employés de M. Zavriyev, ou doivent vivre avec des travaux pendant des mois.
«C’est quelqu’un qui fait une bonne analyse du marché et cible ses acquisitions en regardant les baux. Quand les loyers sont en dessous de 1000 $, il achète et flippe pour doubler le prix», affirme M. Blanchard.
Ce dernier s’inquiète de ces pratiques auxquelles on continue à avoir recours au Québec en toute impunité.
Même son de cloche pour Maria Vasquez, du Comité logement Saint-Laurent.
«Ce que fait monsieur Zavriyev est aberrant et inhumain. Il coupe l’eau chaude, le chauffage en plein hiver, et rien ne se passe, la Ville laisse faire», rage-t-elle.
Pour sa part, l’arrondissement de Saint-Laurent indique que des inspecteurs font régulièrement des visites pour «pour des bris, des fuites d’eau, le manque de chauffage, des éléments d’insalubrité, etc.».
«Chaque constatation d’infraction fait l’objet d’une demande de réparation de la part de l’arrondissement», ajoute par courriel une porte-parole de l’arrondissement.
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