Dépendance à la nicotine: Le vapotage est en hausse (et voici pourquoi c’est une bonne nouvelle)


Richard Béliveau
Selon une enquête récente, c’est maintenant le vapotage qui représente la principale source de nicotine chez les jeunes, loin devant la cigarette de tabac. Coup d’œil sur les répercussions de cette transition qui pourrait signaler la fin prochaine du tabagisme.
Le tabac est une plante indigène aux continents américains, où une soixantaine d’espèces existent encore aujourd’hui à l’état sauvage. La fumée de cette plante a rapidement séduit les humains qui se sont établis en Amérique en passant par le détroit de Béring à la fin du Pléistocène, il y a environ 15 000 ans : dans l’ouest des États-Unis, dans la région correspondant à l’Utah actuel, on a en effet trouvé des résidus témoignant de l’usage de tabac datant de 12 300 ans (1).
Longtemps confiné aux tribus amérindiennes, ce n’est qu’après la découverte de l’Amérique par les Européens que l’usage du tabac s’est répandu à grande échelle dans le monde. Et quelle expansion : on estime qu’aujourd’hui 1,2 milliard de personnes consomment quotidiennement du tabac, principalement sous forme de cigarettes.
La popularité du tabac s’explique par les propriétés psychoactives de la nicotine, le principal alcaloïde du tabac.
Circuit de récompense
Lorsqu’elle est inhalée, la nicotine active spécifiquement certains neurones présents dans une toute petite région du cerveau (le noyau accumbens) qui joue un rôle central dans ce qu’on appelle le circuit de la récompense. L’activation de ces neurones par la nicotine entraîne alors la libération de dopamine, un neurotransmetteur qui signale une expérience agréable, source de plaisir, donnant du même coup une connotation agréable à l’action de fumer.
Chez les fumeurs, le fonctionnement du cerveau est graduellement reprogrammé, de telle sorte que le circuit de récompense activé par la nicotine se renforce progressivement et devient de plus en plus important pour le bien-être de la personne. Ce circuit provoque donc une dépendance très forte : c’est plus du tiers des personnes qui ont fumé une cigarette ou plus qui deviennent dépendantes du tabac, surtout si elles sont porteuses de certaines variations génétiques qui les rendent particulièrement vulnérables à la dépendance à la nicotine (2).
Il est donc faux de penser que les fumeurs n’auraient qu’à faire preuve d’un peu de bonne volonté pour se libérer de leur mauvaise habitude : l’arrêt du tabac est extrêmement difficile en raison du fort degré de dépendance neurobiochimique induit par la nicotine. La meilleure façon de ne pas fumer est de ne pas commencer, et c’est pourquoi il est important de créer des barrières contre l’utilisation de la cigarette en bas âge.
Au cours des dernières décennies, on a assisté à l’émergence de divers dispositifs qui permettent d’inhaler la nicotine sous forme de vapeur plutôt que sous forme de fumée, permettant du même coup au vapoteur d’éviter l’exposition aux milliers de composés toxiques générés par la combustion des feuilles de tabac (la nicotine elle-même n’a pas beaucoup d’effets négatifs autres que la dépendance).
Transition vers la vapeur
Selon les évaluations réalisées par plusieurs organismes scientifiques, ce mode de consommation de nicotine par vapotage serait au moins 95 % moins nocif que celui provenant du tabac fumé et réduirait donc considérablement les dommages causés par la cigarette traditionnelle, en particulier en termes d’augmentation du risque de maladies cardiovasculaires, pulmonaires et de cancer.
Les résultats d’une enquête récente de Statistique Canada montrent que ce mode de consommation de nicotine est en voie de supplanter complètement la cigarette traditionnelle (3). L’enquête révèle en effet que seulement 1 % des adolescents de 15-19 ans et 2,6 % des jeunes adultes de 20-25 ans fument quotidiennement, alors que ce taux dépassait les 25 % il y a à peine 30 ans.
Cela ne signifie cependant pas que l’attrait exercé par la nicotine a complètement disparu. L’enquête montre en effet que près de la moitié des jeunes ont expérimenté le vapotage au moins une fois dans leur vie et que 6,5 % des adolescents et 10 % des jeunes adultes consomment quotidiennement de la nicotine par vapotage. Cette situation n’est évidemment pas idéale et on ne peut que souhaiter que cette proportion de jeunes vapoteurs aille en diminuant au cours des prochaines années. Le bannissement des liquides de vapotage aromatisés très populaires auprès des jeunes, qui prendra effet le mois prochain, pourrait contribuer à cet objectif.
Réduire les risques
Dans l’histoire, les humains ont toujours été fortement attirés vers les substances qui agissent sur le cerveau, surtout les jeunes adultes. Idéalement, il serait souhaitable d’éliminer l’exposition des jeunes à ces substances, mais, réalistement, il est tout aussi important de minimiser les risques associés à la consommation de ces drogues.
Dans ce contexte, on peut voir le remplacement de la cigarette traditionnelle par le vapotage comme une étape dans la bonne direction, étant donné les ravages catastrophiques du tabac fumé, responsable à lui seul de 8 millions de décès chaque année. Nous n’éliminerons probablement jamais la dépendance d’une partie de la population envers la nicotine, mais si le vapotage pouvait mener à une éradication totale de la cigarette tellement dévastatrice, ce serait déjà une bataille gagnée.
(1) Duke D et coll. Earliest evidence for human use of tobacco in the Pleistocene Americas. Nat. Hum. Behav. 2022; 6: 183-192.
(2) Picciotto MR et Kenny PJ. Mechanisms of nicotine addiction. Cold Spring Harb. Perspect. Med. 2021 ; 11 : a039610.
(3) Statistique Canada. Enquête canadienne sur le tabac et la nicotine, 2022. Publiée le 11 septembre 2023 au https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230911/dq230911a-fra.htm.