Défense: Ottawa exclut les Européens pour un gros contrat de 100 millions $
Le premier ministre dit pourtant que «les États-Unis ne sont plus un partenaire fiable»


Anne Caroline Desplanques
La Défense nationale magasine de nouveaux dispositifs de vision nocturne pour nos soldats uniquement auprès d’entreprises américaines même si le premier ministre Carney répète à tout vent que «les États-Unis ne sont plus un partenaire fiable».
Ces équipements permettront aux soldats des Forces armées canadiennes (FAC) de voir la nuit lors d’opérations de combat ou de sauvetage, notamment. Les entreprises ont jusqu’au 6 juin pour proposer leurs produits et remporter un contrat de trois ans, de 100 millions $, renouvelable.
L’armée a consulté l’industrie pendant trois ans avant d’accoucher de cet appel d’offres. Mais elle a finalement modifié ses exigences techniques au dernier moment, déplore la compagnie française Photonis qui a participé aux consultations.
Les nouvelles exigences «excluent des leaders européens fabricants de composants clefs», critique Frédéric Guilhem, directeur commercial de Photonis.
La compagnie équipe déjà un grand nombre de nos alliés européens. Désormais, seules deux compagnies américaines, L3Harris et Elbit America, sont en mesure de compétitionner.
Or, Mark Carney a déclaré cette semaine qu’il souhaitait pouvoir signer une entente avec l’Union européenne d’ici le 1er juillet, afin que le Canada se joigne à son plan de réarmement. L’objectif avoué est de réduire notre dépendance envers le complexe militaro-industriel américain.
Tout est dans les tubes
Comme Photonis, L3Harris et Elbit America produisent des tubes intensificateurs de lumière, un élément clef sans lequel les dispositifs de vision sont inopérants la nuit.
Or, la Défense a ajouté des précisions pour les tubes qu'elle veut, qui excluent Photonis. Pour l’utilisateur, la différence technique entre les tubes est négligeable.
«En fait, beaucoup ne seraient pas en mesure de faire la différence à moins d’avoir un bout de papier indiquant le contraire», indiquent les experts indépendants de DARQ Industries, un fabricant civil de dispositifs de vision nocturne, établi au Massachusetts.
De fait, les produits de Photonis équipent déjà nos soldats d’élite rattachés au Commandement des Forces d’opérations spéciales du Canada qui est responsable des opérations de contre-terrorisme. L’entreprise s’explique donc mal que ce qui est bon pour les forces spéciales soit jugé insuffisant pour les autres membres des FAC.
Guerre commerciale
Cette décision de la Défense nationale intervient dans un contexte de guerre commerciale avec Washington qui peut non seulement gonfler les prix des produits américains à tout moment, mais aussi stopper net certains des échanges commerciaux.
Les achats de matériel de défense aux États-Unis sont en effet soumis aux règlements International Traffic in Arms Regulations (ITAR), administrés par le Département d’État américain. Les ITAR permettent à Washington d’opposer son veto à l’exportation de matériel militaire.
En mars, le premier ministre Carney a, de fait, demandé à la Défense nationale un examen de son projet d’acquisition d’une flotte d’avions de chasse F-35 à l’avionneur américain Lockheed Martin.
Il déclarait alors que c’était «une chose prudente à faire» dans le contexte géopolitique actuel et soulignait en avoir discuté «sérieusement» avec son homologue britannique Keir Starmer et le président français Emmanuel Macron.
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