De (très) drôles d’angoisses !
Josée Boileau
Corinne Gazaille est une angoissée, mais drôle à en pleurer, comme les pleurs qu’elle verse en secret et qu’elle sait comiquement raconter. On n’en sort pas : malgré tout, on rira !
• À lire aussi: 9 livres québécois à offrir en cadeau pour la fête des Mères
Catherine Éthier est une chroniqueuse au vocabulaire inépuisable, à l’humour acéré et au débit inimitable. Pour son premier roman, elle a choisi de mettre en scène une chroniqueuse qui sait jouer des mots, faire mouche en faisant rire et donner du swing à son propos.
Bref, elle s’est fabriquée une alter ego : Corinne Gazaille.
Le fil qui court tout le long du roman concerne pourtant un autre personnage : Guy, le grand-père de Corinne, qui décède au début de l’histoire et qui, à la fin, sera conduit en mer pour un ultime voyage.
Mais entre le départ et l’arrivée, il y a Corinne elle-même, narratrice inoubliable, à la hauteur du titre du récit, Une femme extraordinaire, et de la colorée couverture qui l’introduit.
Corinne est une vedette montante au palmarès des humoristes québécois. Mais elle porte aussi une part d’ombre, chèrement payée – car son anxiété se matérialise dans des achats compulsifs. Plus lourdes encore sont ses envies récurrentes de suicide dont personne ne veut entendre parler.
Sur la corde raide
Ces révélations prennent au cœur, et pourtant on rit ferme au récit des malheurs de Corinne.--- À l’image de sa tentative téléphonique pour régler ses impôts, négligés depuis des années : « NON. MADAME NON. Tu ne peux pas me reconnaître pendant un appel où tu m’informes que je suis en retard de deux années fiscales (and more). On ne peut pas embrasser cette proximité pendant mon pire moment de honte anxieuse à vie. [...] It’s a no, Muriel. Évidemment, Muriel ne me voulait que du bien. »
La vie est absurde, on peut en rire ou en pleurer ; Catherine Éthier, elle, nous tient en équilibre sur la clôture, là où comédie et tragédie se rejoignent. Et jusqu’à la finale, elle ne nous laisse pas tomber.
Il faut toutefois s’accrocher pour ne rien perdre des phrases qui filent et de la somme de références qui s’y glissent. On relit pour saisir toutes les allusions et mettre de l’ordre dans la folle construction des phrases – par ailleurs superbe prétexte pour multiplier les occasions de sourire.
Car Corinne, à la manière Éthier, raconte en forçant le trait, jusqu’à ce que tombent d’implacables vérités : sur la santé mentale, les coulisses du showbiz ou sur le faux-semblant de la vie en croisière.
Faut bien rigoler pour survivre dans des mondes aussi superficiels, alors on s’esclaffe – au risque d’accentuer l’anxiété de celle qui a désormais le défi de toujours faire du « un peu plus Corinne Gazaille » parce que c’est ce que le public aime...
Est-ce à dire qu’en qualifiant ce roman de formidable, on ajoute au poids du succès, aux attentes envers Catherine Éthier – euh, Corinne ! –, aux exigences pour le prochain livre ? Quelle roue infernale !
Mais en attendant, quel bonheur que ce tour-là.