Les faillites explosent chez les 18-34 ans: de plus en plus de jeunes incapables de rembourser leurs dettes
Jean-François Cloutier, Marie-Claude Paradis-Desfossés et Philippe Langlois
Le nombre de jeunes incapables de rembourser leurs dettes a atteint un sommet alors qu’ils représentent maintenant près du tiers des dossiers d’insolvabilité au Québec, révèlent des données obtenues par notre Bureau d’enquête.
«Les jeunes, on a tendance à vouloir tout avoir, tout posséder. Mais ça ne marche pas comme ça. [...] Je le sais maintenant», confie Stéphanie (nom fictif), une jeune femme de 23 ans qui a fait faillite en 2020 (témoignage à lire demain).
- Écoutez l'entrevue avec Pierre Fortin, président de Jean Fortin et Associés via QUB radio :
Au Québec, les jeunes de 18-34 ans représentaient 22,5% des dossiers d’insolvabilité à son plus bas, en 2011. En 2022, la proportion était passée à 29,2%. Un sommet en 15 ans, selon des données du Bureau du surintendant des faillites.
Bien que l’on soit encore sous le niveau d’avant la pandémie en nombre absolu, la tendance à la hausse est notable et elle risque de s’accélérer, selon plusieurs experts.
«C’est très clair depuis le retour des Fêtes [de 2022-2023], il y a une hausse marquée. Des personnes de jeune âge, la tranche entre 20 et 35 ans, c’est eux qui déposent les dossiers», révèle le syndic Mathieu Roy, du bureau M. Roy et Associés, en entrevue.
«Les 30 ans et moins sont ceux dont les soldes de cartes de crédit augmentent le plus rapidement», renchérit Pierre Fortin, de chez Jean Fortin et Associés.

Une faillite de 15 000 $
Mathieu Roy précise que les faillites qu’il voit actuellement ne concernent pas nécessairement de gros montants. On parle dans certains cas de sommes aussi faibles que quelques milliers de dollars. «En général, c’est des 15 000 $, des 18 000 $ de dettes», dit-il.
Il mentionne que bien des jeunes de moins de 35 ans se sentent généralement moins mal que leurs aînés de faire faillite. Les conséquences ne sont pourtant pas à prendre à la légère, prévient-il.
«C’est un joker dans le système. Mais il y a un impact pendant des années sur le dossier de crédit», explique-t-il.
de revenu
Nombre de dossiers d’insolvabilité déposés par les 18-34 ans
Au Canada, entre les deuxièmes trimestres 2022 et 2023, le taux d’insolvabilité a grimpé de 17,4% chez les moins de 25 ans et de 20% chez les 26-35 ans.
Les créanciers montrent les crocs
Autre facteur à prendre en compte: le réveil des créanciers. La syndique Sophie Desautels, de chez Raymond Chabot Grant Thornton, dit observer un changement de ton depuis quelque temps de la part de créanciers impliqués dans de nombreux dossiers, comme Revenu Québec et les compagnies de cartes de crédit.
«Dans nos bureaux, ce qu’on voit, c’est qu’il y a beaucoup plus de saisies et de menaces de saisies. [Pendant la pandémie], les créanciers ont donné des délais de grâce. C’est revenu comme c’était avant», explique-t-elle.
Et selon elle, ce n’est pas uniquement les plus mal pris qui sont affectés par le contexte actuel d’inflation et de hausse rapide des taux d’intérêt. «On voit de jeunes médecins qui se sont fait donner des marges de crédit hallucinantes et qui font faillite. Je ne dirais pas que c’est fréquent, mais ça existe», dit-elle.
Pourquoi les jeunes font-ils faillite?
L’accès facile au crédit
Les occasions sont plus nombreuses qu’avant de dépenser sans en être toujours bien conscient, souligne le syndic Pierre Fortin, de Jean Fortin et Associés, surtout dans un contexte post-pandémie où il y a moins de limitations. «Tout se finance aujourd’hui : Amazon, les voyages, les spas, pergolas, meubles de patio», dit-il.
Le système de consommation
«On a un système qui est bâti sur la consommation. Aucun gouvernement ne veut restreindre ça. Quand il n’y a pas assez de revenus, alors on se tourne vers le crédit. Le système n’aide pas. Ça fait qu’il y a beaucoup plus de risque de s’endetter que dans le passé», poursuit Pierre Fortin.
Manque d’éducation
Le manque d’éducation et la difficulté à trouver un emploi rémunérateur jouent beaucoup dans la tendance actuelle, même dans une situation de plein emploi au Québec, souligne Mathieu Roy. «Les gens qui viennent nous voir n’ont pas de formation spécialisée. Ils n’ont pas la formation requise pour aller chercher des emplois rémunérateurs», dit-il.
Paiements virtuels
Selon Johanne Leblanc, conseillère budgétaire chez Option Consommateur, le côté de plus en plus abstrait des paiements, effectués de manière virtuelle parfois en un seul clic, joue des tours aux plus jeunes.
«On pitonne un peu et notre téléphone est déjà branché à notre compte de banque, à notre carte de crédit. Il y a beaucoup moins d’étapes de réflexion à faire avant de pouvoir se procurer un bien ou un service», observe-t-elle.
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