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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

De la grève du chocolat à celle du cellulaire: les étudiants protestent depuis longtemps et pour plusieurs raisons

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Photo portrait de Martin Landry

Martin Landry

2025-05-09T19:30:00Z
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Ces jours-ci, l’annonce du ministre Bernard Drainville d’interdire les cellulaires dans les écoles primaires et secondaires dès la prochaine rentrée crée de l’effervescence dans les couloirs des écoles du Québec. Les groupes de discussion s’enflamment, des pétitions circulent, et certains parlent déjà de débrayer pour exprimer leur mécontentement. Une autre grève en vue? Peut-être.

Faire la grève pour protester contre les règlements qui seront bientôt imposés sur le cellulaire à l’école, est-ce une idée nouvelle?

Bien avant les manifestations monstres pour le climat de 2019 qui ont vu des milliers de jeunes envahir les rues de Montréal sous l’impulsion de l’activiste Greta Thunberg, l’histoire du Québec a été marquée par des mobilisations étudiantes qui se sont souvent soldées par des grèves et qui ont eu parfois des résonances politiques surprenantes.

La cour intérieure du Petit Séminaire de Québec vers 1915.
La cour intérieure du Petit Séminaire de Québec vers 1915. Photo fournie par BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC

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UNE TRADITION ANCRÉE

Remontons le temps, au XIXe siècle. En 1863, les écoliers du Petit Séminaire de Québec entament une «grève du silence». Ils veulent dénoncer des notes jugées beaucoup trop faibles attribuées par leur enseignant d’anglais. Plus tard, en 1888 (1889), des membres de la fanfare du Collège Sainte-Anne-de-la-Pocatière débrayent parce qu’on leur refuse de parader pendant une grande fête.

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Cette résistance par la grève déborde souvent du cadre académique ou parascolaire et s’ancre dans des valeurs sociales, comme en 1913, à la veille du déclenchement de la Grande Guerre, quand des élèves de confession juive de l’Aberdeen School de Montréal quittent l’établissement pour protester contre des propos antisémites tenus par une institutrice. Environ 500 élèves se rassemblent au carré Saint-Louis, à Montréal.

La première mobilisation de masse d’élèves au Canada, quant à elle, s’inscrit dans l’Histoire sous le nom de la «grève du chocolat». Quand même charmant comme nom. En 1947, des milliers de jeunes refusent d’acheter des barres chocolatées après que le prix a bondi de 5 à 8 cents. Un mouvement de solidarité pancanadien va transcender les salles de classe pour atteindre les parents et affecter les commerces de quartier pendant des mois.

L’école protestante publique Aberdeen. En 1913, le discours antisémite d’une enseignante de l’Aberdeen School de Montréal a soulevé de vives réactions. Des centaines d’élèves, dont plusieurs ne sont âgés que 12 ans, iront jusqu’à déclencher une grève pour protester contre ces propos discriminatoires.
L’école protestante publique Aberdeen. En 1913, le discours antisémite d’une enseignante de l’Aberdeen School de Montréal a soulevé de vives réactions. Des centaines d’élèves, dont plusieurs ne sont âgés que 12 ans, iront jusqu’à déclencher une grève pour protester contre ces propos discriminatoires. Photo fournie par BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC

EXPLOSION DE MOBILISATIONS DANS LA FOULÉE DE LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

La mobilisation étudiante prend de l’ampleur dans les années 60. Par exemple, en janvier 1966, une importante grève va toucher une soixantaine d’écoles au Québec. Entre 25 000 et 30 000 élèves protestent parce que le ministre de l’Éducation Paul Gérin-Lajoie allonge le calendrier scolaire de trois semaines. Le mouvement est tellement fort que le premier ministre du Québec Jean Lesage sort de ses gonds et invective les jeunes protestataires, leur lançant qu’ils «manquent de maturité». Pourtant, leur message est structuré, démocratique et résonne fort.

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Parlant de mobilisations marquantes, on ne peut pas passer sous silence la crise des écoles de Saint-Léonard en 1968. Crise qui prendra une dimension politique et se terminera par une première loi linguistique pour le Québec. Alors que la communauté italienne souhaite conserver ses écoles anglophones, les francophones s’y opposent farouchement. Pour signifier leur insatisfaction, des parents choisissent de garder leurs enfants à la maison. Le mécontentement amène les partisans des deux camps à manifester et des rassemblements provoquent des affrontements violents. Des milliers d’élèves iront même protester sur le terrain de l’hôtel du Parlement de Québec pour défendre le français.

N’oublions pas non plus les grèves de 1981, quand les élèves ont débrayé en réaction à la décision du gouvernement d’élever la note de passage, la faisant passer de 50% à 60%.

On passe du 50% au 60% et ça déclenche un élan de protestation chez les élèves. En 1981, le ministre de l’Éducation Camille Laurin impose un changement dans la note de passage. La règle soulève la colère de beaucoup d’élèves. Le mouvement de contestation se transforme rapidement en grève. Plusieurs dizaines de milliers d’élèves québécois vont refuser d’aller en classe. Ils forceront le ministre à négocier des accommodements.
On passe du 50% au 60% et ça déclenche un élan de protestation chez les élèves. En 1981, le ministre de l’Éducation Camille Laurin impose un changement dans la note de passage. La règle soulève la colère de beaucoup d’élèves. Le mouvement de contestation se transforme rapidement en grève. Plusieurs dizaines de milliers d’élèves québécois vont refuser d’aller en classe. Ils forceront le ministre à négocier des accommodements. Photo fournie par BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC

DES REVENDICATIONS MULTIPLES

Ce que l’Histoire nous montre, c’est que les grèves étudiantes au Québec sont motivées par des causes variées, comme la défense de droits matériels (chauffage, transport, sorties scolaires), l’affirmation identitaire (langue, religion), la solidarité envers des camarades ou même la participation à des mouvements planétaires (guerre, climat).

Face à l’interdiction prochaine du cellulaire dans les écoles, les élèves réagiront-ils comme nous l’avons fait à leur âge? Manifesteront-ils pour défendre ce qu’ils considèrent comme un outil de communication et d’apprentissage essentiel? Exerceront-ils une influence sur le gouvernement Legault? Une chose est sûre, l’histoire des mobilisations étudiantes au Québec nous apprend que les jeunes n’ont jamais craint de faire entendre leur voix.

Référence: Histoire des grèves d’élèves du secondaire au Québec: démocratie et conflictualité. Francis Dupuis-Déri. Professeur, Université du Québec à Montréal
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