De jeunes femmes inuit pratiquent le chant de gorge pour se réapproprier leur culture

Axel Tardieu
«C’est mon identité. Plus je fais du chant de gorge, plus je me sens moi-même.»
Annie Gordon, une femme inuit de 19 ans, pratique le chant de gorge depuis qu'elle a 8 ans. C'est sa grand-mère qui lui a appris les rudiments de cet art qu'elle a découvert grâce à une enseignante.
«Nous nous réapproprions les racines de nos ancêtres et reprenons le contrôle de notre culture», explique-t-elle à 24 heures quelques minutes avant un concert qu'elle a donné au Festival Nuits d’Afrique en compagnie de son amie Kathy Aputiarjuk.
«Je pratique le chant de gorge pour reprendre ce qui a été perdu dans notre culture», confie pour sa part Kathy Aputiarjuk, une femme inuit de 18 ans originaire de Kangiqsualujjuaq.

Une pratique interdite
Si le chant de gorge est d'abord un passe-temps, il est aussi une compétition entre les deux femmes qui se font face. La première des deux qui rit ou qui arrête de chanter perd.
Bien que le chant de gorge soit une tradition millénaire pratiquée par les femmes inuit, il a bien failli disparaître au Canada.

De 1920 à 1969, l'Église anglicane interdisait les femmes du Nunavik de la pratiquer, explique l’ethnomusicologue Jean-Jacques Nattiez.
Au 19e siècle, «les missionnaires (européens) et les colons sont venus s’installer chez nous et ils ont décrété que le chant de gorge était diabolique et que jouer du tambour devait être banni», regrette Kathy Aputiarjuk.
«La génération de mes grands-mères a perdu ces traditions», poursuit celle qui retire aujourd'hui beaucoup de fierté dans la pratique de son art.
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Guérir par le chant
«Quand je reviendrai au Nunavik, je l’enseignerai à mes petites soeurs», confie Annie Gordon, dont la mère ne maîtrise pas cet art.
En se réappropriant le chant de gorge, Annie Gordon et Kathy Aputiarjuk contribuent à la revitalisation des traditions autochtones entamée dans les années 90, explique Julie Graff, chercheuse associée au Laboratoire international de recherche sur l'imaginaire du Nord, de l'hiver et de l'Arctique.
Cette tendance s'accélère grâce aux réseaux sociaux et à des personnalités comme Tanya Tagaq et Shina Nova.
«Ce mouvement de revitalisation, c'est une transmission de ce qui s'est toujours fait, mais aussi une réactualisation. Tanya Tagaq n’a pas été toujours bien reçue. On lui reprochait de faire n’importe quoi avec le chant de gorge», soutient Julie Graff.
Mais au-delà des tensions qui peuvent exister au sein de la communauté inuit, cette réactualisation des traditions peut aussi s'inscrire dans un mouvement de guérison, comme le souligne l’artiste Nina Segalowitz dans une vidéo de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
«Ça fait partie de ma guérison. Des liens qui ont été coupés quand j’ai été arrachée de ma mère. C’est une façon de montrer aux autres qui on est pour qu’il y ait moins de discrimination, de racisme, d’ignorance», affirme-t-elle.