De faux produits québécois vendus en ligne provenaient de la Chine
Des dizaines de Québécois racontent avoir été floués en achetant des vêtements et des souliers sur le web
Marie-Claude Paradis-Desfossés
Des dizaines de Québécois qui étaient convaincus d’avoir acheté en ligne des produits fabriqués ici ont été floués en recevant de la marchandise bas de gamme provenant de Chine.
Ce genre d’arnaque payante qui joue sur la corde sensible de l’achat local fait de plus en plus de victimes, constatent des spécialistes.

Rosanne Côté s’est laissé tenter par une publicité, directement sur sa page Facebook, de la boutique en ligne stylenordique.ca. Cette résidente d'Alma, au Lac-Saint-Jean, a commandé un manteau dont la description lui promettait « style et chaleur lors des journées glacées ».
Convaincue de faire une bonne affaire, elle commande un manteau vendu à rabais à 79,90$. «Le plus possible j'essaie d'encourager les compagnies d'ici », raconte-t-elle en entrevue à l'émission J.E, qui sera diffusée ce soir à 20 h à TVA.

Les Québécois ciblés
Mme Côté a déchanté lorsqu’elle a reçu son colis : une veste légère avec une étiquette made in China. Ce qu’elle ignorait aussi c’est que le même manteau était affiché à 9$ US sur le site d’achats chinois AliExpress.

Des dizaines de signalements de consommateurs floués par stylenordique.ca ont été partagés sur la plateforme communautaire Fraude-Alerte.
«Le nom du site, l’aspect local, la promotion de l’achat local... C’est sûr qu’on cible la population québécoise», constate Fyscillia Ream, cofondatrice de la Clinique de cyber-criminologie, associée à l’Université de Montréal, qui gère cette plateforme.
L’Office de la protection du consommateur (OPC), pour sa part, a reçu huit plaintes au sujet du site web stylenordique.ca, qui est aujourd’hui fermé.
Dizaines de plaintes
Un autre site, Julie-Fortin.ca, promettait des chaussures et accessoires de «confection québécoise» qui reflètent «l’authenticité et la robustesse de notre belle province».
Kelly Marion, de Notre-Dame-des-Prairies, dans Lanaudière, a commandé deux paires de bottes, une pour elle et l’autre pour sa mère. «Généralement, j’ai de la qualité quand j’achète au Québec», se désole Mme Marion en nous montrant son achat.
«Les miennes c’est plus un tissu. Elles avaient l’air d’être en cuir toutes les deux», déplore-t-elle.

Elle a payé par carte de débit et attend toujours de savoir si elle pourra se faire rembourser les 160$ payés le 6 décembre 2023.
Là encore, le site web Julie-Fortin.ca n’est plus accessible. L’OPC a enregistré 30 plaintes d’autres clients floués.
Représentation erronée
Selon Fyscillia Ream, ces sites ont en commun d’avoir une allure professionnelle et d’avoir été créés sur la plateforme Shopify, qui offre aux entreprises l’hébergement de leur magasin en ligne.
La cofondatrice la Clinique de cyber-criminologie croit que Shopify est «un facilitateur de dropshipping», cette pratique grâce à laquelle un commerçant en ligne transfère les commandes des clients à un fournisseur qui se charge de la livraison.
Le dropshipping n’est pas illégal, mais selon Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateur, ce modèle d’affaires s’accompagne souvent de stratégies frauduleuses comme la représentation erronée.
«La loi dit que tout ce qu’affirme le commerçant doit être vrai. [...] Il y a toutes sortes de manquements à cette obligation-là. Par exemple des commerçants qui disent que le bien qu’ils vendent est fait au Québec, ou qui [prétendent être] situés au Québec en donnant une fausse adresse», explique Me Plourde.
La multinationale Shopify a ignoré nos demandes d’entrevue.
Des vraies entreprises victimes
L’identité de vraies entreprises québécoises est aussi usurpée par des vendeurs en ligne aux pratiques douteuses.
Il existe bel et bien une vraie boutique Style Nordique.com, qui est basée au Saguenay–Lac-Saint-Jean et qui se spécialise dans la vente de mitaine et pantoufles fabriquées au Nunavut.
Son propriétaire, Esteban Simard, relate avec émotion avoir dû défendre sa réputation en novembre et décembre dernier, pendant que les arnaqueurs de stylenordique.ca utilisaient le nom de son entreprise. «[Des clients floués] commençaient à m’insulter sur internet. Fraudeur, faites attention!», raconte-t-il.

L’entrepreneur affirme avoir perdu 75% de son chiffre d’affaires.
Il a tenté d’aider les consommateurs floués en détaillant la fraude dans une lettre à leur intention. «En rajoutant cette preuve-là, ils se faisaient rembourser [par leur compagnie de carte de crédit]. Présentement sur mon ordi, je suis rendu à 326 victimes connues», dit-il.
Fausse adresse
Le site stylenordique.ca a utilisé l’adresse d’une vraie entreprise: Déménagement machinerie Granby. «On a juste de la machinerie lourde, vraiment pas de manteaux ici», déclare la copropriétaire Marie-Josée Fecteau.
Elle déplore d’avoir géré, du début novembre à la mi-février, des dizaines d’appels, des colis contenant des manteaux et même des mises en demeure de clients insatisfaits.
Certains clients se sont même rendus sur place pour choisir un autre manteau. «C’est un stress que ça nous occasionne et ça nous fait une mauvaise publicité», déplore Mme Fecteau, qui a aussi porté plainte à la police.
Cauchemar
L’entreprise Chaussure Morin, spécialisée dans l’importation de chaussures haut de gamme, aurait aussi inspiré des vendeurs aux pratiques douteuses qui opéraient le site lorimorin.ca.
«Les gens cherchaient Chaussure Morin sur Google et c’était Lori Morin qui sortait. [...] Ils ont copié un peu notre signature de Morin», explique le propriétaire Nelson Morin.

Le subterfuge s’est étalé sur plusieurs semaines si bien que M. Morin a dû embaucher une ressource supplémentaire pour composer avec le flot d’appels de client insatisfaits et tenter de faire fermer le faux site. «De la chnoute, je ne veux pas en vendre», déclare celui qui qualifie l’expérience vécue de cauchemar.
Le site lorimorin.ca n’est plus accessible. Il fait l’objet de 19 plaintes à l’Office de la protection du consommateur.

L’organisme règlementaire a aussi envoyé un avis de rappel au commerçant délinquant... mais à une fausse adresse.
«L’application des lois et des sanctions est difficile dans un tel contexte, mais l’Office dispose de certains moyens permettant de les retracer, dans certaines circonstances», précise Charles Tanguay, porte-parole de l’OPC.
Les trucs des experts pour éviter de se faire prendre
Me Alexandre Plourde, Option consommateur

- Méfiez-vous des faux rabais .«On annonce des rabais fracassants, 50%. Mais ce qu’on constate c’est que le commerçant n’a jamais offert le bien au prix régulier.»
- Méfiez-vous des faux avis de consommateurs. «Souvent quand on va sur ces sites-là, on voit des avis dithyrambiques, des 5 étoiles partout. Il faut se demander si ce sont de vrais avis ou des avis payés par le commerçant.»
- Payez par carte de crédit. «La loi prévoit c’est que c’est seulement les gens qui paient par carte de crédit qui ont un droit à la rétrofacturation. Les autres modes de paiement, que ce soit une carte de débit virtuelle ou PayPal, n’offrent pas la même protection pour les consommateurs.»
Fyscillia Ream, Clinique de cyber-criminologie

- Faire une recherche par image inversée sur Google. «On va aller téléverser notre photo qu’on a prise par capture d’écran et ensuite on va regarder les produits qui sortent. Ça nous renseigne que ce n’est pas un produit québécois parce qu’il est disponible sur AliExpress pour un prix qui est moindre.»
- Vérifier si le commerçant a bonne réputation. «Si en tant que citoyen, je signale une fraude sur Fraude-Alerte, tout le monde peut la voir. Tout le monde peut voir par exemple que j’ai signalé tel site web ou tel fraudeur.»
- Signaler au Centre antifraude du Canada. «Il faut le faire parce que ça permet justement d’ouvrir des enquêtes et ça va démontrer l’importance d’un type de fraude.»
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