Dany Laferrière: un roman qui n’a pas pris une ride, 35 ans plus tard

Marie-France Bornais
Depuis Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), salué par une reconnaissance immédiate, jusqu’à L’exil vaut le voyage (2020), en passant par L’énigme du retour (prix Médicis), Dany Laferrière a construit une œuvre qui rayonne dans le monde et lui a valu son élection au fauteuil numéro deux de l’Académie française, celui de Montesquieu.
Né à Petit-Goâve, en Haïti, Dany Laferrière a immigré au Québec en 1976. En 1985, il publiait son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, qui a eu l’effet d’une bombe dans le paysage littéraire québécois. Quiconque l’a lu à l’époque ne l’a pas oublié. Best-seller traduit en plusieurs langues, adapté au cinéma, mis en musique par Manu Dibango, ce roman jouissif d’un couvert à l’autre parle de Montréal, de littérature, de jazz, de sexe, d’amitié, de liberté, sur un ton unique, original, vivant dans le moindre détail. Trente-cinq ans plus tard, le roman, réédité, n’a pas pris une ride.
En entrevue par courriel depuis Paris où il occupe le fauteuil numéro 2 de l’Académie française – celui de Montesquieu – Dany Laferrière parle avec générosité de ce classique.
Son regard sur le Québec a-t-il changé depuis la publication du roman ? « Je reste toujours émerveillé à chaque printemps par l’effervescence qu’il y a dans les rues de Montréal. Je reste toujours impressionné par la capacité des Québécois à se renouveler sous le règne d’un hiver implacable. Je reste toujours frappé par la densité des rapports comme si le fait d’avoir quatre saisons très différentes nous donnait l’impression qu’une vie entière pouvait se loger en une année. »
Comprendre le Québec
Dany Laferrière explique qu’il cherche à comprendre le Québec depuis 40 ans. « Je crois que la seule façon de rester dans un pays, c’est de le comprendre. Est-ce pourquoi j’ai tant écrit sur le Québec ? Est-ce pourquoi j’ai écrit Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo ? Une seule chose compte. Est-ce que je suis encore partie prenante de ce débat ? Je pourrai habiter partout où je veux. C’est la situation d’un écrivain. Je suis traduit dans seize langues. Mais c’est au Québec que je risque ma tête. Rien ne m’y oblige. Mais j’y suis, j’y reste. »
La littérature
À l’époque, il avait envie de partager « le plaisir d’être vivant », assure-t-il. « J’avais quitté une dictature et je venais de passer huit à dix ans à l’usine (Chronique de la dérive douce). Je voulais savoir si j’étais capable de créer un monde plus excitant que celui dans lequel je vivais. J’avais mis tous mes espoirs dans la littérature. Rien de politique. Simplement le bonheur de me relire et de trouver que ma phrase était plus élégante que moi. »
« L’après-midi quand j’avais fini de travailler sur le livre, je prenais une douche et je sortais dans la ville. Je descendais la rue Saint-Denis, sur le trottoir gauche où se trouvaient les cafés que je fréquentais. Café Picasso, Bistro à jojo, la Galoche. Et je murmurais tout bas : les gens ne savent pas qu’il y a un nouvel écrivain dans cette ville. Donc j’écrivais pour devenir quelqu’un. Et ne pas rester un boulon dans la machine. »
Fraîcheur
Ce qu’il aime le plus de ce roman, c’est qu’il réapparaît, et qu’il semble aussi frais que la première fois. « J’avais l’impression que la question du racisme n’était plus une question au cœur du débat nord-américain il y a une quinzaine d’années, mais depuis quelque temps, il est revenu sur le devant de la scène et redonne une puissance nouvelle à ce roman. Tant qu’il y aura du racisme, ce livre demeurera pertinent. Mais je ne fais pas là un plaidoyer pour le racisme, car, en fait, le racisme occupe une toute petite part du livre. »
« Le point central du livre c’est l’histoire de deux jeunes Noirs qui ne possèdent rien, au chômage, pas de télé, pas de radio, pas de téléphone, qui ne lisent pas le journal et qui semblent étrangement mener une vie poétique. Leur amitié fait de l’amitié le sujet du livre. »
► En librairie le 14 avril.
EXTRAIT
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192 pages](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fm1.quebecormedia.com%2Femp%2Femp%2F64037687_15150267688415-ff79-41dc-a69b-801cbfae5cb3_ORIGINAL.jpg&w=3840&q=75)
« Trois petits coups discrets. Décidément, c’est le code de McGill. Miz Littérature ouvre. Une magnifique fille entre. Une de ces filles qui vous laissent carrément baba. Elle a un sourire chaleureux. Elle n’en avait pas besoin pour être cette torche ambulante. Le visage de Bouba demeure impassible. Miz Littérature fait les présentations. Bouba regarde par la fenêtre. Une soirée frémissante. Il décroche son vieux chapeau de chasse. C’est son jour de sortie. »