Dany Laferrière et la misère du monde


Sophie Durocher
Comme ça, Dany Laferrière, qui a déjà traité les Québécois de consanguins, trouve insultant qu’au Québec un ministre associe Haïti à la misère.
Bizarre, bizarre. Parce qu’au cours de sa carrière, Dany Laferrière lui-même a souvent... associé Haïti à la misère. Mais bon, j’imagine que lui, il a le droit...
Hé misère
Voici comment on fabrique une controverse sans se fatiguer: 1– 250 migrants, en grande majorité des Haïtiens, se présentent au poste frontalier de Lacolle. 2– Jean-François Roberge affirme «On ne peut pas accueillir toute la misère du monde.» 3– En entrevue à Radio-Canada, Dany Laferrière affirme: «C’est injuste de traiter les Haïtiens de “misère du monde” quand nous savons qu’ils seront la “richesse du Québec” dans moins d’une génération.»
Dany Laferrière est un homme de lettres. Il connaît mieux que quiconque le poids des mots. Il peut bien s’indigner, il sait, en son for intérieur, que lorsque l’on parle de «la misère du monde» on ne traite pas les Haïtiens de miséreux! On désigne des gens qui vivent dans une misère extrême.
Laferrière sait sûrement que «La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde» est une phrase que l’ancien premier ministre Michel Rocard a prononcée en 1989 (et plusieurs fois par la suite).
Quant à l’usage du mot misère, voici quelques citations intéressantes...
• Sur le même sujet, écoutez cet épisode balado tiré de l'émission de Sophie Durocher, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
En 2014, quand il vient d’être nommé Immortel par l’Académie française, Dany Laferrière confie au magazine L’Express: «L’immortalité tient une grande place dans le vaudou et la mythologie d’Haïti, ce pays qui ne meurt jamais, malgré la grande MISÈRE, les 32 coups d’État, les tremblements de terre...»
Il y a 11 mois, à l’émission française C à vous, Dany Laferrière déclarait à propos de sa vie en Haïti: « Je connaissais la MISÈRE, la dictature, l’esclavage, le racisme... J’avais tous les éléments pour faire un grand sujet américain. [...] pour moi, c’était important de récupérer le territoire, l’espace qui m’appartenait, avec toutes les langues et surtout la MISÈRE. La MISÈRE est pour moi quelque chose qui couvre le continent, beaucoup plus que la richesse».
Dans son livre L’énigme du retour, Dany Laferrière parle d’Haïti comme d’un pays où «la MISÈRE fait la sieste» (page 87).
Sur le site de l’Académie française, dans les notes biographiques de Dany Laferrière, on décrit ainsi son arrivée à Montréal: «C’est un homme libre de vingt-trois ans qui s’engage dans une nouvelle vie tout en luttant pour échapper à la nostalgie, à la solitude et à la MISÈRE.»
La tirade de Dany
Dans son livre Le pays sans chapeau, à propos de Port-au-Prince, Dany Laferrière écrit page 62: «Ce qui frappe d’abord, c’est cette odeur. La ville pue. Plus d’un million de gens vivent dans une sorte de vase (ce mélange de boue noire, de détritus et de cadavres d’animaux). Tout cela sous un ciel torride. La sueur. On pisse partout, hommes et bêtes. Les égouts à ciel ouvert.»
Lors du coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide en 1991, je me suis rendue en Haïti comme journaliste. J’y ai vu toute la misère et la détresse des Haïtiens. Je comprends tout à fait que des centaines d’entre eux veuillent trouver refuge au Québec. Mais je ne suis pas sûre que l’indignation de Dany Laferrière serve sa cause.