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L'article provient de Le Journal de Montréal
Sports

Dans les coulisses de la NFL: le «grand choc culturel» de la copine de «LDT», une historienne de l’art parachutée à Kansas City

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Mylène Richard

2023-10-24T14:06:40Z
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L’arrivée de la chanteuse Taylor Swift dans la puissante NFL ne pouvait pas mieux tomber pour Florence-Agathe Dubé-Moreau, la conjointe de Laurent Duvernay-Tardif, qui lance un livre sur son expérience de femme de joueur de football cette semaine.

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«C’est une icône de la pop, mais on donne de la visibilité à une fille dans une industrie de gars. Et très concrètement [...], c’est plus de vente de billets, plus de ventes de jerseys, plus de cote d’écoute. Ce sont des choses qui se traduisent en argent», observe Mme Dubé-Moreau au sujet de Swift, qui a assisté à des matchs de son nouveau copain, Travis Kelce, des Chiefs de Kansas City, la même équipe avec qui «LDT» a gagné le Super Bowl en 2020.    

«Ils [les dirigeants de la ligue] sont allés chercher un nouvel auditoire majoritairement féminin et je trouve ça très porteur. Ça parle beaucoup du potentiel que le sport pourrait gagner à s’adresser davantage aux femmes, à les valoriser et à les rendre visibles», ajoute l’autrice de l’essai féministe Hors Jeu en entrevue avec Le Journal.

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Florence-Agathe Dubé-Moreau est une historienne de l'art qui a été parachutée dans l'univers de la NFL.
Florence-Agathe Dubé-Moreau est une historienne de l'art qui a été parachutée dans l'univers de la NFL. Photo Justine Latour, fournie par Emma-Félix Laurin

Une «industrie qui est pensée par et pour les hommes»

Détentrice d’une formation en ballet contemporain et d’une maîtrise en histoire de l’art, la commissaire indépendante qui aide à la création et à l’organisation d’expositions, comme celle sur la centenaire Françoise Sullivan au Musée des beaux-arts de Montréal, était loin de se douter sur quelle planète elle allait atterrir dans le Midwest américain.

«Le déclic du livre, c’est le fait d’avoir été parachutée dans la NFL en 2014 quand mon chum a été repêché par les Chiefs de Kansas City», raconte la copine de celui qui étudiait en médecine à l’Université McGill. 

«C’est une région aux États-Unis qui est beaucoup plus traditionnelle, conservatrice et religieuse que ce que j’étais habituée comme francophone qui vit à Montréal et qui travaille dans les arts. Il y a eu un élément de surprise», poursuit-elle.

«Ç’a été un grand choc culturel. [...] Il y a donc eu beaucoup de choses à découvrir, à décoder, à comprendre.»

Mme Dubé-Moreau souhaite donc amener les lecteurs, peu importe leur genre, leur âge et leur niveau de passion pour les sports, dans les coulisses d’une «industrie qui est pensée par et pour les hommes».

Florence-Agathe Dubé-Moreau allait visiter son copain, Laurent Duvernay-Tardif, qui évoluait pour les Chiefs de Kansas City, une ou deux fois par mois.
Florence-Agathe Dubé-Moreau allait visiter son copain, Laurent Duvernay-Tardif, qui évoluait pour les Chiefs de Kansas City, une ou deux fois par mois. Photo fournie par Florence-Agathe Dubé-Moreau

Le mouton noir

Contrairement à plusieurs autres WAGS (wifes and girlfriends – épouses et petites amies), Mme Dubé-Moreau a fait le choix de voyager entre Montréal et Kansas City une ou deux fois par mois, poursuivant sa carrière d’historienne de l’art au Québec. Pas mariée et sans enfant, elle détonnait.

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«Je me sentais comme le mouton noir, en déphasage avec cet univers que je découvrais. C’est très difficile, peu importe ta posture, comme femme, de se sentir incluse et considérée», se rappelle-t-elle, tout en précisant que plusieurs compagnes ont aussi des métiers.

«Je me suis souvent fait demander pourquoi je restais à Montréal et que je n’allais pas aider Laurent à Kansas City par des gens qui vivaient à Montréal, parfois dans le milieu des arts, relate-t-elle. Il y a encore quelque chose de très sexiste dans le sport, où on s’attend à ce que les femmes soient en soutien aux athlètes. Mais si j’avais choisi d’arrêter de travailler pour aller vivre à Kansas City, j’aurais vécu d’autres types de préjugés. On aurait trouvé mon choix paresseux, que je me faisais vivre et que je profitais de la situation.»

Florence-Agathe Dubé-Moreau et son ami de cœur, Laurent Duvernay-Tardif, à l'époque où il a remporté le championnat de l'Association américaine de la NFL avec les Chiefs à Kansas City en 2020.
Florence-Agathe Dubé-Moreau et son ami de cœur, Laurent Duvernay-Tardif, à l'époque où il a remporté le championnat de l'Association américaine de la NFL avec les Chiefs à Kansas City en 2020. Photo fournie par Florence-Agathe Dubé-Moreau

Reconnaissance et valorisation

Ce que l’autrice dénonce, bien qu’elle garde de bons souvenirs de son expérience, c’est le manque de reconnaissance de la NFL envers les tendres moitiés, mais aussi envers les femmes qui tentent de faire leur place au sein d’un circuit qui génère des milliards de dollars.

«J’ai l’impression que la NFL capitalise beaucoup sur certains systèmes de valeurs qui sont plus patriarcaux pour finalement bénéficier de tout le travail que les conjointes font à la maison, comme le soutien psychologique et de santé quand les joueurs sont blessés, ainsi qu’avec les soins des enfants», analyse Mme Dubé-Moreau.

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Des filles lui ont raconté à quel point la charge mentale, «un travail invisible», pesait lourd. Juste faire les bagages de leur homme est stressant. Elles doivent «s’assurer que tout soit optimisé à la maison pour qu’ils aient juste à se concentrer sur le jeu».

«La NFL ne fait pas grand-chose pour reconnaître l’apport que ces femmes ont sur les joueurs et leurs performances», constate celle qui ne portait pas de chandail au nom de son conjoint.

L'historienne de l'art était aussi présente quand «LDT» a remporté le Super Bowl, à Miami, en 2020.
L'historienne de l'art était aussi présente quand «LDT» a remporté le Super Bowl, à Miami, en 2020. Photo fournie par Florence-Agathe Dubé-Moreau

Florence-Agathe Dubé-Moreau et sa soeur Sophie-Charlotte étaient à Miami lors du Super Bowl en février 2020.
Florence-Agathe Dubé-Moreau et sa soeur Sophie-Charlotte étaient à Miami lors du Super Bowl en février 2020. Photo fournie par Florence-Agathe Dubé-Moreau

«Situations complètement absurdes»

Des solutions simples, la Québécoise en a: des garderies aux centres d’entraînement ou dans les stades, des primes d’éloignement quand les femmes doivent changer d’employeur et déménager, de l’aide lorsque des enseignantes ou des courtières immobilières doivent obtenir de nouvelles licences dans un État, ou même des congés parentaux.

«Ça donne lieu à des situations complètement absurdes où les filles se font provoquer les lundis ou les mardis parce que ce sont les journées habituelles de congé des gars, afin d’être accompagnées par leur chum à l’hôpital pour accoucher.»

«Au dernier Super Bowl, la conjointe d’un joueur [Jason Kelce, des Eagles de Philadelphie] était au match avec sa gynécologue au cas où ses contractions commenceraient pour avoir quelqu’un avec qui aller à l’hôpital», donne-t-elle en exemple.

Certains diront qu’elles «n’ont pas le droit de se plaindre la bouche pleine», étant donné que leur mari est riche, mais Mme Dubé-Moreau précise qu’en moyenne, les joueurs évoluent dans la NFL pendant environ trois ans.

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Laurent Duvernay-Tardif et Florence-Agathe Dubé-Moreau avaient invité les Montréalais à célébrer la conquête du Super Bowl par les Chiefs de Kansas City sur le site de la Fête des neiges, à l’Espace 67 du parc Jean-Drapeau de Montréal, en février 2020.
Laurent Duvernay-Tardif et Florence-Agathe Dubé-Moreau avaient invité les Montréalais à célébrer la conquête du Super Bowl par les Chiefs de Kansas City sur le site de la Fête des neiges, à l’Espace 67 du parc Jean-Drapeau de Montréal, en février 2020. Photo AGENCE QMI, TOMA ICZKOVITS

Sans oublier les cheerleaders

Florence-Agathe Dubé-Moreau ne pouvait pas passer à côté des conditions de travail des cheerleaders, qui doivent respecter un code de conduite écrit et supervisé par des hommes. 

Un guide qui réglemente leur tenue vestimentaire (même en congé), leur poids, leur opinion, leur coiffure, leur maquillage, etc.

Victimes de stéréotypes réducteurs et sexistes, certaines meneuses de claque n’étaient même pas rémunérées et devaient acheter leur uniforme! Elles ont revendiqué un meilleur traitement et dénoncé le harcèlement.

Les meneuses de claque des Bengals de Cincinnati, le 17 septembre.
Les meneuses de claque des Bengals de Cincinnati, le 17 septembre. Getty Images via AFP

Lentement, mais sûrement

Durant la carrière d’athlète de Laurent Duvernay-Tardif, de 2014 à 2022, Mme Dubé-Moreau a donc assisté à une évolution tranquille. Elle se rappelle de la «puissance» du moment quand elle a vu une arbitre féminine travailler à temps plein dans la NFL ou la première entraîneuse adjointe en 2015.

«Ces filles arrivent dans des industries où elles sont très seules et marginalisées. C’est difficile de percer et de rester longtemps aussi», assure-t-elle.

La NFL a aussi amélioré la «Rooney Rule», un règlement qui demande notamment aux équipes d’accorder une entrevue à des minorités (personnes racisées et femmes) pour des postes de direction, de directeurs généraux ou d’entraîneurs.

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«Peut-être qu’un jour on verra une coach en chef dans la NFL!»

«J’ai l’impression que tranquillement ça bouge, mais ce que je souhaite, c’est que ça accélère, demande Mme Dubé-Moreau, qui se réjouit de la création de la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin. Il va falloir que les spectateurs et spectatrices exigent plus de représentation et aussi que les ligues, les franchises, les diffuseurs et les partenaires se responsabilisent et essaient de combler l’écart qui existe, à la fois de la place des femmes dans l’industrie sportive masculine et sur la sous-représentation du sport féminin dans les médias.»

Comme les autres conjointes des joueurs de football de la NFL, Florence-Agathe devaient participer à des activités et recevoir les amis et la famille lors des matchs.
Comme les autres conjointes des joueurs de football de la NFL, Florence-Agathe devaient participer à des activités et recevoir les amis et la famille lors des matchs. Photo fournie par Florence-Agathe Dubé-Moreau

«LDT» l’a lu

Et pour ceux qui se demandent si Mme Dubé-Moreau a attendu que son homme annonce sa retraite de la NFL le mois dernier avant de publier son livre, elle répond que l’ouvrage était originalement prévu pour l’an passé. Le manque de temps, dû au travail, a repoussé l’échéancier. 

La coprésidente de la Fondation LDT confirme également que «Laurent a lu chacune des pages» et qu’ils ont «discuté de chacun de ces sujets».  

Comme quoi l’égalité entre les genres n’est pas un tabou entre les deux amoureux.

Des proches lors d'une partie de «LDT», qui a porté les couleurs des Jets de New York en 2021 et 2022.
Des proches lors d'une partie de «LDT», qui a porté les couleurs des Jets de New York en 2021 et 2022. Photo fournie par Florence-Agathe Dubé-Moreau

Extraits du livre Hors jeu

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«On place les WAGS [wifes and girlfriends - épouses et petites amies] dans une situation impossible : si elles ne soutiennent pas leur mari, c’est suspect, si elles le soutiennent trop, c’est suspect. On s’attend à ce qu’elles soient féminines, mais pas trop. Dans les médias, elles doivent encourager leur homme, sans trop en faire ni se mettre trop de l’avant. Leur marge de manœuvre est bien mince, et je trouve leur courage immense, considérant l’hostilité misogyne des espaces numériques.»

«[...] Les familles étaient invitées à la fin des parties à descendre des estrades pour rejoindre leurs êtres chers sur le terrain. [...] J’observe, émerveillée, cette équipe improvisée où une petite fille déguisée en cheerleader fait une passe à un ami vêtu en footballeur, et où ensuite les deux bondissent ensemble vers la ligne des buts. À l’instant où la cheerleader et le footballeur marquent un touché, rien ne vient perturber leur célébration. Et pourtant, la scène étonne. Non seulement une cheerleader et un footballeur n’inscriront jamais de points ensemble, mais, contrairement au garçon, cette fillette ne pourra jamais jouer pour vrai sur ce terrain. Les petites filles ne deviennent pas footballeuses.»

Florence-Agathe Dubé-Moreau lance un livre sur la place des femmes au football et dans le sport, un essai féministe qui se nomme «Hors jeu», aux éditions du Remue-Ménage.
Florence-Agathe Dubé-Moreau lance un livre sur la place des femmes au football et dans le sport, un essai féministe qui se nomme «Hors jeu», aux éditions du Remue-Ménage. Photo fournie par Emma-Félix Laurin, illustrations Kim Kielhofner

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