«Dans le Sud profond, on lynchait des effigies d’Elvis!» - Baz Luhrmann

Isabelle Hontebeyrie
Interviewé alors qu’il était encore en plein montage de son «Elvis», Baz Luhrmann était volubile, passionné, enthousiaste. Dans le studio et devant la caméra de la visioconférence qui le reliait à l’Agence QMI, le cinéaste bougeait au rythme invisible des tubes du King, voulant communiquer sa fébrilité et son excitation alors que la date butoir de la première au Festival de Cannes, hors compétition, se rapprochait dangereusement.
Baz Luhrmann avait hâte, aussi, de partager le fruit de son travail. Ce n’est pas parce qu’on croit en sa vision d’un personnage historique, aussi iconique qu’Elvis Presley, qu’on n’a pas besoin que d’autres la partagent. Car derrière la légende, il y a eu un homme, «un homme d’une profonde humanité. Il n’était pas un humain parfait, mais son âme était parfaite», a-t-il dit d’entrée de jeu.
Un regard sur la société
Derrière la légende, il y a aussi l’Amérique, celle du plus grand que nature, celle du centre du monde dans les années 1950, 1960 et 1970, celle qu’Elvis aide à définir.
«Lorsque l’on explore l’Amérique durant ces trois décennies, on se rend compte qu’Elvis est au cœur de chacune, comme une espèce de paratonnerre culturel avec le bon Elvis et le Elvis rebelle. Il n’a jamais essayé d’être un rebelle, il s’est retrouvé au milieu d’une époque et d’un pays d’après-guerre où, brusquement, les adolescents avaient de l’argent ; il faut d’ailleurs savoir que “les adolescents” sont une invention récente, il n’y avait pas d’ados avant.»
«Puis, dans les années 1960, tout explose, tout fait “pop” en raison du matérialisme ambiant et l’on constate une déconnexion avec certaines valeurs. Et la révolution arrive, c’est Elvis qui est derrière. Puis, on est dans les années 1970. Je les compare à ce moment auquel on va dans une soirée – les années 1950 -, tout est excitant. Le “party” – les années 1960 – est bon, on s’amuse. Mais rapidement, tout se délite – les années 1970 –, la fête devient sombre et glauque... et on s’en va.»
«Elvis Presley est la porte d’entrée parfaite pour explorer cet aspect. Nous avons enchevêtré beaucoup d’éléments historiques dans le film, Elvis se trouvait d’ailleurs au coeur de ces événements et pas du tout par dessein, je vous l’affirme», a détaillé le cinéaste.
La question raciale...
Mais alors, «Elvis» est-il une fresque historique? Pas seulement. Car Baz Luhrmann et son équipe de scénaristes – «Je crois que j’épuise les gens», a-t-il lancé, mi-sérieux, mi-ironique – ont aussi effectué une «quantité folle de recherches» sur le King. Luhrmann s’est installé dans une petite chambre dans la grange de Graceland pendant des mois, a retrouvé l’an des anciens amis noirs du King – «Il est mort récemment» -, a fouillé dans les enregistrements des répétitions, des concerts, des entrevues, a lu les biographies, les articles de journaux. «On fait le détective et on joue un rôle aussi. Après, il faut se transformer en dramaturge», a-t-il résumé, insistant sur la nécessité de «compresser les 40 ans de la vie extraordinaire» d’Elvis Presley en s’autorisant certaines licences artistiques.
«On ne peut pas commencer à explorer Elvis Presley sans parler de la question raciale aux États-Unis parce qu’il se trouve à la croisée des chemins, a-t-il martelé. Car rapidement, ce qui est du divertissement – ses chansons – devient un problème pour le mouvement opposé à la déségrégation. Attention, Elvis ne montait pas aux barricades, mais il faut savoir que dans le sud profond, on fabriquait et on lynchait des effigies d’Elvis! Le Ku Klux Klan et les racistes extrémistes étaient désespérés et ils ne rigolaient pas.»
«À l’époque, a poursuivi Luhrmann, un groupe de gouverneurs des États du Sud s’est réuni pour discuter de la manière de préserver la vie du Vieux Sud, autrement dit de savoir quoi faire pour continuer la ségrégation. Et le fait que les jeunes aiment un artiste qui mélangeait et appréciait la musique noire, le gospel, le “country”... Elvis devient donc un problème, car il inspire un franchissement des barrières raciales.»
En dramaturge consommé, le réalisateur lance le nom du Colonel Parker, incarné par Tom Hanks et gérant d’Elvis en prévenant: «Il n’était ni colonel, ni Parker, ni Tom. Vous verrez...» Car l’homme, un «joueur notoire» s’est ainsi «opposé à ce qu’Elvis fasse une tournée mondiale, à ce qu’il sorte du pays.» On n’en saura pas plus, si ce n’est que «seul un acteur aussi formidable que Tom Hanks pouvait l’incarner.»
Revenant à Elvis Presley, Baz Luhrmann a livré l’une des clés du King en soulignant que «c’était quelqu’un d’éminemment spirituel, c’est pour cette raison que son grand amour musical a toujours été, au-dessus de n’importe quel autre genre, le gospel».
Et pour le réalisateur de productions désormais classiques comme «Moulin Rouge» ou «Roméo et Juliette», «Elvis se réinventait constamment parce qu’il était toujours à la recherche de lui-même. Il est né dans un milieu plus que modeste, a toujours eu honte que son père ait fait de la prison. Il a toujours éprouvé un grand vide, vide qu’il a tenté de combler en créant le personnage d’Elvis Presley.»
«Elvis» fait chanter et se trémousser le grand écran dès le 24 juin.
Austin Butler: faire revivre Elvis
«Je voulais absorber le plus d’informations possible sur Elvis et, heureusement, il y en a une quantité infinie», a immédiatement dit l’acteur qui s’est préparé à ce rôle pendant trois ans. Car, avant d’incarner le King, Austin Butler était connu pour une apparition rapide dans le «Il était une fois à Hollywood» de Quentin Tarantino. En entendant parler des auditions, il a fait connaître son intérêt, Denzel Washington s’est porté garant de lui puisqu’ils avaient tous deux été de la production «The Iceman Cometh» à Broadway en 2018 et il a chanté pour Baz Luhrmann.
L’acteur de 30 ans l’a avoué sans ambages: «La chose la plus difficile dans ce rôle est qu’Elvis est une icône. Il a été, soit élevé au rang de dieu, soit au rang de wallpaper de la société. C’est pour cette raison que je voulais trouver son humanité et trouver un chemin à l’intérieur de sa psyché.» Austin Butler n’a, par contre, pas fait de compromis sur le fait de jouer Elvis «avec spontanéité», un équilibre complexe à trouver en raison de la nature même du personnage devenu légendaire de son vivant. «Je ne voulais tomber dans aucun des pièges de la caricature», a-t-il insisté.
Olivia DeJonge devient Priscilla
Olivia DeJonge ne savait pas grand-chose de Priscilla lorsqu’elle a été choisie pour incarner l’épouse puis la veuve du King.
«Je connaissais la photo d’eux deux à leur mariage. Dès que j’ai décroché le rôle, j’ai lu, écouté et visionné tout ce que je pouvais sur elle. Et j’ai parlé à toutes les personnes possibles. Trop souvent, lorsqu’on pense à Priscilla, on ne voit que sa beauté. Mais dans son livre, elle mentionne un homme un peu fou qui campait devant sa maison et indique qu’elle était prête à sortir et à lui sauter dessus, à se battre. Quelle incroyable dichotomie que cette femme! Une incroyable beauté qui n’avait pas peur de faire le coup de poing si cela était nécessaire.»
Depuis l’entrevue, la principale intéressée a vu «Elvis» et n’a eu que des commentaires élogieux. Signe que l’Australienne a su saisir l’essence de Priscilla.