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L'article provient de Bureau d'enquête

Cristaux guérisseurs: des politiciens corrompus ferment les yeux

Les pots-de-vin sont monnaie courante à Madagascar, selon de nombreux observateurs internationaux

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Photo portrait de Audrey Ruel-Manseau

Audrey Ruel-Manseau

2023-09-30T04:00:00Z
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Des mines de Madagascar à ici, la lithothérapie est une industrie sans scrupule, qui génère des milliards de dollars au nom du bien-être, dans l’indifférence des ravages qu’elle crée sur son passage. Notre Bureau d’enquête est allé à Madagascar, principal pays producteur de pierres de guérison. Nous avons vécu de l’intérieur la réalité choquante de travailleurs, parfois adolescents, qui approvisionnent notre quête du bonheur, au péril de leur vie. 

Des mines de Madagascar jusqu’aux salons des Québécois, la route parcourue par les pierres guérisseuses enrichit des marchés clandestins au vu et au su du gouvernement malgache, lui-même gangréné par la corruption.  

Dans ce pays africain, le gouvernement perçoit des redevances minières, et les collectivités ont à leur tour des ristournes pour les minéraux qui proviennent de leur sous-sol.  

Anjoma-Ramartina est le chef-lieu des mines au centre de l'île La commune devrait recevoir 18 000 $ CA par année en ristournes du gouvernement. Elle en recevrait plutôt 3600 $ CA, soit cinq fois moins, selon son secrétaire général Tantely Razafimandimby.

« L’argent de l’État ne revient pas dans nos caisses. Ils nous envoient juste ce qu’ils veulent. Pourtant, on voit ce qui sort [de nos mines], que ce soit des pierres ou de l’or », dénonce-t-il en entrevue.

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« Je peux arrêter l’interview ? »

Notre Bureau d’enquête a demandé une entrevue avec le ministre des Mines plusieurs mois avant notre passage à Madagascar. Une fois notre équipe sur place, l’entourage du ministre a déplacé l’entrevue à trois reprises, pour finalement l'annuler et désigner sa coordonnatrice stratégique comme porte-parole.   

Dans une entrevue surréelle, filmée pour le documentaire Les dangers des cristaux guérisseurs, son attitude et ses réponses témoignent de l’opacité du gouvernement, que plusieurs intervenants rencontrés ont dénoncée.   

Pas plus tard qu’en août dernier, la directrice de cabinet du président Andry Rajoelina a été arrêtée à Londres pour présumée corruption auprès d’une société minière de pierres précieuses britannique qui tente de s’implanter à Madagascar. Un complice français et elle auraient négocié une commission de 260 000 euros avec une marge sur les profits. Plus encore, l’accusée était jusqu’à récemment à la tête de la commission de développement durable et d’éthique des affaires du groupement des entreprises de Madagascar.    

« Madagascar est en proie à une corruption systémique, avec un État de droit faible et des frontières peu étanches, alors que ses ressources naturelles sont abondantes. Cette situation a favorisé l’essor de différents réseaux de crime organisé s’adonnant à divers trafics. » – extrait Étude de la corruption et des mesures anticorruption à Madagascar de Transparency International  
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Le trafic d’influence va bien au-delà de l’industrie minière. « La corruption politique est omniprésente » et « les présidents ont constamment maintenu des réseaux de pouvoir informels significatifs », selon Transparency International, une organisation non gouvernementale internationale de lutte contre la corruption des gouvernements mondiaux. 

  • Écoutez l'entrevue avec la journaliste à Audrey Ruel-Manseau à l’émission de Sophie Durocher via QUB radio : 

En 2019, 79 députés de l'Assemblée, soit plus de la moitié des parlementaires, étaient soupçonnés d'avoir touché des pots-de-vin à moins de deux semaines des élections législatives. En 2020, le ministre de l’intérieur malgache aurait utilisé l’argent censé soutenir la relance post-COVID-19 pour acheter du matériel pour l’entreprise dont sa femme est directrice, pour ne citer que deux exemples récents.   

« L’impunité reste la norme pour les fonctionnaires qui enfreignent la loi, en particulier en matière de trafic de ressources naturelles [...] [et] qui, malgré leur implication dans la contrebande, ne sont pas poursuivis », peut-on lire dans l'étude de Transparency International publiée en 2021 sur l’état de situation à Madagascar.  

Pour quelques semaines encore, le gouvernement au pouvoir est celui d’Andry Rajoelina, élu en 2019. Rajoelina avait piloté le coup d’État sanglant de 2009, qui a plongé Madagascar dans le chaos durant quatre ans. 

À l’aube d’élections prévues le 9 novembre prochain, le pays est de nouveau sur la corde raide. L’Union européenne et les États-Unis ont annoncé la semaine dernière qu’ils suivraient la présidentielle « avec la plus grande vigilance », alors que 10 des 13 candidats ont récemment dénoncé qu’un « coup d’État institutionnel » était orchestré par le président sortant.  

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