Crise du logement: on doit bâtir plus si on veut s’en sortir

Gabriel Giguère, Analyste senior en politiques publiques à l’IEDM
À voir les prix affichés pour les nouveaux condos ou les loyers des appartements neufs, on peut bien se demander qui a les moyens de se payer ça aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce qui amène certains commentateurs à se demander si on bâtit réellement les bons types de logements pour se sortir de la spirale de la hausse des prix qui touche nos familles.
Or, d’un point de vue économique, chaque nouveau logement bâti – qu’il s’agisse d’un petit appartement ou d’un énorme penthouse – contribue directement à ramener les prix à des niveaux plus abordables.
Effet de déplacement
C’est notamment grâce à ce qu’on appelle l’effet de déplacement.
Essentiellement, chaque fois qu’une famille emménage dans un nouveau logement un peu plus grand ou mieux situé, elle libère par le fait même un autre appartement ou condo souvent plus abordable, mais qui répondait moins bien à ses besoins.
À son tour, une autre famille y emménage, laissant un autre logement un peu moins cher, qui pourra ainsi bénéficier à une autre famille. Et le cycle continue en général sur six déplacements. Des universitaires qui se sont penchés sur le phénomène ont pu le quantifier en suivant un groupe de 52 000 ménages au fil du temps.
Pour chaque tranche de 100 nouveaux logements bâtis aux prix du marché, la chaîne de déplacement permet de libérer 45 logements à prix abordable pour des familles touchant un revenu médian ou moins. Parmi ces logements, 17 deviennent accessibles aux 20 pour cent les moins nantis de la population.
Si l’on prend une seule tour en construction au centre-ville en ce moment, soit le projet Skyla proposant 662 appartements, on peut estimer que, grâce à cette chaîne de déplacement, environ 298 logements abordables seront libérés pour la classe moyenne, dont 113 dans le quintile le plus modeste.
C’est quand même pas mal quand on considère qu’il ne s’agit que d’une seule tour, parmi l’ensemble des projets en construction!
Abordabilité
Il importe d’ailleurs de noter que ces nouveaux logements trouvent preneur. Parmi les 40 000 bâtis à Montréal au cours des trois dernières années, autour de 95 pour cent sont occupés.
L’autre façon dont les nouveaux logements contribuent à l’abordabilité – et ce, plutôt sur le long terme – c’est en modifiant la composition du marché du logement. Cela s’explique par le fait que la nouvelle offre comporte généralement des aménagements et des infrastructures au goût du jour et qu’on ne trouve pas nécessairement dans les logements bâtis quelques décennies plus tôt.
Par exemple, rares sont les bâtiments des années 1990 qui sont dotés de «chalets urbains» ou de terrasses sur le toit.
Au fur et à mesure que cette nouvelle offre se construit, les logements qui, autrefois, étaient perçus comme des logements de luxe finissent par intégrer progressivement le milieu de gamme, alors que ceux qui étaient de milieu de gamme deviennent abordables.
On l’observe notamment dans les revenus des ménages qui emménagent dans ces unités à la suite d’un déménagement. En général, à chaque fois qu’un appartement est remis sur le marché, son locataire subséquent a un revenu environ trois pour cent plus faible que le précédent.
Si ce processus prend du temps, il permet de s’assurer que les Québécois de demain pourront avoir un logement abordable.
Comme quoi, chaque nouveau logement bâti, peu importe son niveau de prix, contribue à ramener les prix à des niveaux plus abordables tant à court terme qu’à long terme.
Gabriel Giguère
Analyste senior en politiques publiques à l’IEDM