Contenus jeunesse: dernière chance de ne pas perdre une génération

Steve Couture, PDG et cofondateur d’Epic Storyworlds
À l’aube du congrès de l’AQPM, alors que les réflexions sur l’avenir de notre production médiatique s’intensifient, et à la suite de ma propre participation aux audiences publiques du CRTC où les tensions et les lacunes du secteur jeunesse ont été clairement exposées, il m’apparaît crucial de revenir à l’essentiel : il est temps, collectivement, de redonner la priorité à nos jeunes.
Un enjeu de souveraineté culturelle
Aujourd’hui, un enfant peut passer des heures sur YouTube ou TikTok, sans filtre culturel, sans encadrement, exposé à des contenus ultracourts, désincarnés, souvent hors contexte, parfois même toxiques. Pendant ce temps, le contenu jeunesse canadien – celui qui porte notre voix, notre imaginaire, nos références – peine à exister dans les écosystèmes numériques et télévisuels où évoluent les jeunes.
Youtube annonçait récemment la mise en place d’un plan pour limiter l’accès à des contenus « de basse qualité » s’adressant aux enfants — des contenus jugés trop promotionnels, trompeusement éducatifs ou présentant des comportements nuisibles. Même les géants de la tech commencent à remettre en question la moralité du modèle qu’ils ont eux-mêmes engendré. Ce n’est pas anodin. Cela témoigne d’un basculement : le lien entre les nouvelles générations et leur culture se distend.
Et parfois, il se rompt.
Ce n’est pas une question de nostalgie. C’est une question de développement, d’enracinement et de résilience identitaire.
Ce que nos enfants regardent influence leur langage, leur vision du monde, leurs aspirations. Il y a vingt ans, ils visionnaient des émissions conçues pour eux, encadrées par des experts en éducation, en développement cognitif, en culture.
Aujourd’hui, c’est l’algorithme qui décide.
Si nous n’occupons pas le terrain, d’autres le feront à notre place
Il faut continuer de créer du contenu jeunesse pour la télévision traditionnelle, qui joue un rôle essentiel en matière de rayonnement et d’ancrage culturel. Mais il faut aussi élargir notre regard : investir là où se trouvent les jeunes — sur les plateformes numériques, dans les jeux vidéo, les webséries, les univers transmédia.
Pour soutenir cette diversité de formats et de pratiques, il est urgent de mettre en place des mécanismes de financement plus souples, plus agiles, mieux adaptés aux réalités d’aujourd’hui.
Lors des audiences du CRTC, j’ai appuyé la la proposition du Fonds Shaw Rocket visant à instaurer une obligation minimale d’investissement de 20% en contenu jeunesse pour tous les titulaires de licence du CRTC. Ces investissements pourraient être dirigés vers les chaînes qui diffusent du contenu jeunesse, ou vers des fonds spécialisés, chargés de les redistribuer vers des productions jeunesse canadiennes, sur les plateformes pertinentes.
Ce 20 % est donc un minimum vital, pas une finalité.
Si nous n’investissons pas significativement dans notre jeunesse, nous serons tôt ou tard évacués de l’équation culturelle. Il faut revoir nos barèmes, actualiser nos définitions de contenu admissible, sortir des silos médiatiques, reconnaître de nouveaux formats, nouvelles pratiques, nouveaux récits.
L’avenir de notre culture commence par ce que consomment nos enfants
Nous n’avons pas besoin d’avoir des enfants pour comprendre l’importance du contenu jeunesse. Comme les taxes scolaires ou la santé publique, il s’agit d’un enjeu de société que tout le monde devrait supporter.
Proposer du contenu de qualité, enraciné ici, pensé pour nos jeunes, c’est travailler activement à la vitalité de notre culture, à notre intelligence collective et à notre cohésion sociale pour les décennies à venir.
Le Québec et le Canada sont des terres ouvertes, curieuses face aux autres cultures du monde – et c’est une richesse. Mais cette ouverture ne doit pas nous priver de notre capacité à nommer le réel avec nos propres mots, à transmettre nos valeurs, à proposer notre voix dans le tumulte global.
C’est ce pari que j’ai toujours fait, au sein des entreprises que j’ai cofondées – de Frima à Epic Storyworlds : croire que des contenus jeunesse d’ici peuvent rayonner au-delà de nos frontières, rencontrer les jeunes là où ils sont, dans les formats qu’ils aiment, sans renoncer à ce que nous sommes.
Il est temps de faire du contenu jeunesse une priorité nationale.

Steve Couture, PDG et cofondateur d’Epic Storyworlds