Conjuguer ses demandes salariales à l’inflation


Daniel Germain
On connaît des pics d’inflation comme on n’en a pas vu depuis une génération, et le phénomène n’a rien de théorique. On le sent bien passer à la caisse.
La question de la lectrice Véronique arrive donc à point : un employé peut-il se permettre d’exiger une augmentation de salaire équivalente à l’inflation actuelle (près de 5 %), même plus élevée, s’il excelle au travail ?
La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que les patrons mangent comme tout le monde et qu’une majorité d’entre eux roulent encore à l’essence, avec des véhicules qui fonctionnent au « super » en plus. Et s’ils sont trop riches pour remarquer la croissance des prix, on suppose qu’ils écoutent les infos.
Oui, l’inflation est prise en compte au moment d’établir les augmentations salariales. Maintenant, ce n’est pas la peine de se faire des illusions, car on risque d’être déçus. Les entreprises ne distribueront pas à tout vent des hausses de 5 %.
Statistiques contre perception
D’abord, on peut interpréter les données sur les prix à la consommation de bien des façons. « L’inflation sur l’ensemble de l’année 2021 s’élève en moyenne à 3,8 % au Québec », signale Hélène Bégin, économiste chez Desjardins. En 2020, elle a été de 0,8 %. (La cible de la Banque du Canada tourne autour de 2 %.)
Les 5 % dont parle Véronique, c’est le chiffre de décembre 2021 par rapport au mois correspondant de l’année précédente. La hausse des prix ne se manifeste pas de manière linéaire, elle frappe plus ou moins selon les produits et pour des raisons parfois indépendantes.
Pourtant, on n’hallucine pas, l’épicerie et l’essence coûtent vraiment plus cher, et pas seulement de 3,8 %.
On doit rappeler que les hausses de prix de 2021 ont compensé celles de 2020, très faibles. Cette année-là, on a vécu des épisodes de déflation, souvenez-vous du litre d’essence à 0,75 $.
Maintenant, ce rattrapage est complété, mais l’inflation ne dérougit pas pour autant. Voilà le problème.
Un décalage
Au moment où la plupart des entreprises ont établi leurs budgets pour 2022 (un processus qui s’étale sur quelques mois), on croyait encore que l’inflation allait être de courte durée.
À l’été, un sondage mené auprès des entreprises indiquait que celles-ci prévoyaient augmenter les salaires de 2,9 % en moyenne.
Vu le contexte, les organisations ont de nouveau été sondées à la fin de l’année.
« Les prévisions ont augmenté de peu. Ç’a monté à 3,3 % », indique Marc Chartrand, conseiller en ressources humaines (CRHA) chez PCI Rémunération-Conseil.
Il risque d’y avoir un décalage, la progression de la paie ne peut pas être parfaitement synchronisée avec l’inflation, on doit donc s’attendre à une perte de pouvoir d’achat cette année.
Lors du prochain cycle budgétaire cependant, les employeurs ne pourront pas plaider la surprise.
Quelles sont vos chances ?
Tout n’est pas perdu pour 2022, du moins pour les travailleurs dont le traitement n’a pas été fixé en janvier ou par une convention collective de plusieurs années.
Au moment de négocier, de multiples facteurs entrent en jeu, à part l’inflation.
- Quel est le dynamisme du secteur dans lequel œuvre votre employeur ?
- Quelle est la santé financière de votre organisation ?
- Quel est votre salaire actuel et quelles sont vos performances ? Quelqu’un dont la rémunération défonce l’échelle sans livrer ce qui est attendu aura du mal à obtenir plus que prévu dans l’enveloppe globale. L’étoile montante qui n’a pas atteint le sommet salarial de son poste peut revendiquer plus.
« Les travailleurs qui gagnent moins de 20 $ l’heure sont mieux placés pour des hausses importantes », croit Marc Chartrand. - Êtes-vous facilement remplaçable ? Aujourd’hui, la disponibilité de la main-d’œuvre constitue votre levier le plus efficace. La pénurie d’employés menace le fonctionnement même de certaines entreprises, celles-ci sont prêtes à accorder de meilleures conditions pour retenir et attirer du monde.
Une fois qu’on a dit ça, on doit surtout se rappeler qu’on ne perd rien à demander plus.