Confisquer les avoirs russes pour reconstruire l'Ukraine? Plus facile à dire qu'à faire

Agence France-Presse
L'idée est d'une simplicité séduisante: les Occidentaux devraient utiliser les milliards de dollars d'avoirs russes gelés pour la reconstruction de l'Ukraine. Mais cette option se heurte à d'importants problèmes juridiques et n'a pas progressé plus avant.
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Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, des sanctions économiques sans précédent contre Moscou ont entraîné le gel par des banques occidentales notamment d'environ 350 milliards de dollars en biens publics russes, en devises et en biens appartenant à des oligarques russes.
Près de douze mois plus tard, des responsables politiques et des militants plaident dans certains pays occidentaux pour que ces ressources soient mises à profit pour reconstruire les infrastructures, les maisons, les entreprises détruites en Ukraine par l'invasion par la Russie.
«Il y a tant de dégâts et le pays qui a causé toutes ces destructions devrait payer», a déclaré la vice-première ministre du Canada Chrystia Freedland, devant le Forum économique mondial de Davos en janvier.
En décembre, le gouvernement canadien a annoncé avoir entamé le début d'un processus visant à saisir 26 millions de dollars d'une société détenue par l'oligarque russe Roman Abramovitch, sous le coup de sanctions en représailles à l'invasion de l'Ukraine par Moscou. Une action qualifiée de «vol en plein jour» par l'ambassadeur russe au Canada.
Début février, l'Union européenne a dit vouloir intensifier «ses efforts en vue d'utiliser des avoirs gelés de la Russie pour soutenir la reconstruction de l'Ukraine et à des fins de réparation».
La Pologne et les trois États baltes ont aussi publiquement exhorté à agir «aussi vite que possible».
L'Estonie élabore ses propres plans de confiscation, ce qui ferait du petit État balte un précurseur dans l'UE.
«Poutine a cassé, il doit réparer», a lancé à l'AFP lors d'un récent entretien l'Américain précédemment investisseur et désormais activiste Bill Browder.
Changer la loi
L'homme --qui est à l'origine de la loi Magnitsky, adoptée par l'administration Obama, une législation pionnière afin de sanctionner les responsables gouvernementaux russes impliqués dans des violations des droits humains-- travaille à mettre la pression sur les parlementaires.
Le Congrès américain a conduit des auditions sur la manière dont la loi américaine pourrait être changée pour permettre des confiscations permanentes, bien que l'administration Biden reste officiellement prudente sur cette idée.
Les juristes font une distinction entre les avoirs privés gelés par des gouvernements occidentaux --comme le yacht d'un oligarque-- et les biens publics comme les réserves en devises de la banque centrale russe.
Dans le cas d'avoirs privés, les garde-fous juridiques font que les États occidentaux sont autorisés à les confisquer de manière permanente dans des circonstances très limitées --en général quand il peut être prouvé qu'ils sont le produit d'activités criminelles.
Et même si les oligarques russes opèrent dans les eaux troubles du capitalisme russe, «nous ne savons pas vraiment si les biens qui ont été gelés sont le produit d'activités criminelles», indique à l'AFP Anton Moiseienko, expert juridique international, de l'Université nationale australienne (ANU).
Les confisquer pose un défi aux droits fondamentaux humains et juridiques, comme le droit à la propriété, la protection contre les punitions arbitraires ou le droit à un procès équitable.
«Comment allez-vous prouver qu'ils (les avoirs confisqués) constituent le produit d'activités criminelles sans la coopération de la Russie?», interroge M. Moiseienko.
D'autres problèmes surviennent du fait de traités d'investissement bilatéraux ou internationaux signés avec la Russie, qui exposeraient potentiellement les États à des poursuites juridiques devant des tribunaux arbitraux internationaux.
Les biens publics comme les réserves des banques centrales posent des problèmes différents, mais tout aussi épineux, parce qu'ils sont couverts par l'«immunité souveraine» --un accord selon lequel un État ne confisquera pas les biens d'un autre.
Les banques centrales occidentales comme la Réserve fédérale (Fed) américaine, la Banque centrale européenne ou la Banque du Japon auraient bloqué des réserves estimées à 300 milliards de dollars détenues chez elles par la Russie.
«La loi coutumière internationale relative à l'immunité étatique protège en général de la confiscation les biens appartenant à l'État», a écrit en juin Paul B. Stephen dans le «Capital Markets Law Journal».
«Des exceptions existent, mais leur cadre reste flou», a-t-il ajouté.
Une autre solution?
Nombre d'avocats estiment que la meilleure opportunité d'indemnisation pour l'Ukraine est de tenter d'obtenir un accord favorable pour mettre fin à la guerre, qui inclurait des dédommagements.
Mais d'autres, dont des militants comme Bill Browder, défendent une approche plus radicale qui enverrait un message à d'autres États, dont la Chine.
«Ça n'est pas logique que Poutine invente de nouveaux types de crimes et que, de notre côté, nous ne puissions pas réinventer le cadre juridique pour répondre à ces crimes», a-t-il argumenté auprès de l'AFP.