Concordia a empoché un don de 128 000 $ du géant chinois Huawei
Cette somme a été remise juste après que le Canada a banni le géant chinois de son territoire


Sarah-Maude Lefebvre
L’Université Concordia a accepté l’an dernier un don de 128 000 $ de la compagnie controversée Huawei, à peine quelques semaines après que le Canada a exclu le géant chinois du développement de son réseau 5G pour des motifs de sécurité nationale.
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En mai 2022, à l’instar de plusieurs autres pays, dont les États-Unis, le gouvernement fédéral a interdit l’utilisation de services et d’équipements de Huawei Technologies pour le développement du réseau 5G.
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, avait expliqué à l’époque que cette décision visait à «protéger les Canadiens», alors que la compagnie, proche de Pékin, est soupçonnée de pouvoir espionner à travers ses équipements de télécommunication.
Or, en juin 2022, à peine un mois après l’annonce du gouvernement fédéral, l’Université Concordia a reçu un don de 128 000 $ de Huawei. La somme a été allouée à un projet de recherche.
«Le projet est lié à l’analyse et à l’assurance de la qualité du code dans les logiciels libres. Il s’agit également de proposer des techniques pour améliorer la qualité du code», a indiqué le porte-parole de l’université, Colin Danby.
L’Université Concordia nous a indiqué qu’il n’y avait aucune contrepartie prévue à Huawei en échange de ce don.
Même s’il n’est pas formellement interdit de faire affaire avec Huawei, plusieurs experts du milieu universitaire et de la sécurité nationale préviennent depuis longtemps les universités quant aux risques liés aux entreprises près du gouvernement chinois.

«Dès qu’on parle d’un pays autoritaire et ouvertement hostile au Canada, tout investissement par des entreprises de ce pays, surtout pour des technologies qui peuvent servir aussi au point de vue militaire, est fortement problématique», affirme Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s.
- Écoutez la rencontre Lisée - Mulcair avec Jean-François Lisée, ancien chef du Parti québécois et Thomas Mulcair, ancien chef du NPD au micro de Richard Martineau sur QUB radio :
Mises en garde
Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a également mis en garde les universités à ce sujet au cours des dernières années, notamment lors de tournées de rencontre dans les établissements d’enseignement.
«En se servant de différents moyens [bourses d’études, voyages parrainés, chaires de professeurs invités], [la Chine] s’emploie à faire avancer [s]es objectifs. Cette menace n’émane pas de la population chinoise, mais du Parti communiste chinois, qui exécute une stratégie visant à faire des gains géopolitiques», a commenté par courriel le porte-parole du SCRS, Eric Balsam.
Différentes sensibilités

Au Québec, la sensibilité à la menace diffère d’une université à une autre, avons-nous constaté, après avoir contacté tous les établissements.
Si certaines universités ont diminué ou cessé leurs activités avec Huawei, d’autres ont encore des projets de recherche en cours. Une seule institution nous a indiqué avoir recommandé de cesser toutes ses activités avec Huawei, soit l’École de technologie supérieure (ÉTS).
«La position de l’ÉTS et de sa direction de la recherche est de déconseiller toute réalisation ou initiative de recherche avec des entreprises et intérêts chinois», nous a indiqué le porte-parole Jean-Alexandre D’Etcheverry.
Par ailleurs, toutes les autres universités contactées par Le Journal nous ont indiqué ne pas avoir reçu de don de Huawei au cours des deux dernières années. La dernière donation de Huawei recensée est un montant de 100 000 $ à l’Université Laval réparti sur deux ans (2021 et 2022) pour des bourses étudiantes dans le domaine de l’optique-photonique.
Nous avons tenté de joindre Huawei, sans réponse de la compagnie.
- Écoutez la rencontre Foisy-Robitaille avec Antoine Robitaille et Philippe-Vincent Foisy, animateurs à QUB Radio au micro de Benoit Dutrizac via QUB radio :
L’Université de Montréal conserve son don
L’Université de Montréal a finalement décidé de conserver le don d’un demi-million de dollars offert par deux milliardaires chinois.
En 2016, deux hommes d’affaires chinois, Zhang Bin et Niu Gensheng, avaient offert respectivement 550 000 $ et 140 000 $ à l’Université de Montréal et à la Fondation Pierre Elliott Trudeau.
En février, le quotidien canadien Globe and Mail rapportait que les autorités chinoises seraient derrière ces deux dons, selon une conversation interceptée par le Service canadien du renseignement de sécurité.
Depuis, la totalité du conseil d’administration de la Fondation Trudeau a démissionné et l’organisme a remboursé le don reçu.
De son côté, l’Université de Montréal a annoncé vendredi qu’elle gardera le don et qu’elle réaffectera les sommes dans d’autres projets, affirmant qu’il lui serait difficile de procéder à un remboursement, notamment pour des raisons fiscales.
La semaine dernière, notre Bureau d’enquête rapportait d’ailleurs que l’ex-vice-recteur aux affaires internationales et à la francophonie Guy Lefebvre, qui a orchestré le don des deux hommes d’affaires, a plusieurs liens avec des institutions chinoises et aurait effacé ces mentions de sa page sur le site web de l’Université de Montréal, y compris les récompenses et médailles reçues au cours des dernières années.
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