Comment les missionnaires ont documenté les langues autochtones au 16e siècle

Évelyne Ferron
Au 16e siècle, l’Europe est fascinée et simultanément secouée par de nouveaux territoires, de nouvelles populations, de nouvelles coutumes et surtout... de nouvelles langues.
Élément majeur des communications, le langage a été une grande source de défis pour les hommes et les femmes qui ont décidé de participer à la colonisation et à l’évangélisation du Nouveau Monde. Les missionnaires et les premières communautés religieuses établies en Nouvelle-France ont par conséquent eu à apprendre les langues autochtones et à créer des outils pour les garder en mémoire.
Des défis de compréhension
L’histoire de la compréhension, de l’écriture et de la diffusion de plusieurs des langues autochtones commence au 16e siècle, alors qu’au gré des découvertes dans les Amériques, les explorateurs rencontrent des populations avec lesquelles ils essaient de communiquer et d’échanger.
Les récits et les lettres publiées de Christophe Colomb, de conquistadores espagnols comme Hernan Cortès et Francisco Pizarro, de Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Gabriel Sagard ou Jean de Brébeuf, font découvrir une mosaïque de peuples inconnus à l’Europe.

Ces récits témoignent aussi de la complexité des langues parlées par les peuples autochtones du Nouveau Monde, qui ne sont pas structurées comme l’espagnol, l’italien ou le français.
Dictionnaires et grammaires
À cet égard, le 16e siècle marque le début des premiers dictionnaires et des premières grammaires sur les langues autochtones. Mais le travail des explorateurs et des communautés religieuses reste entravé par des préjugés tenaces.
Il s’agit en effet d’une époque où les peuples autochtones sont perçus comme moins civilisés que les Européens et dans cette optique, on considère que la difficulté à les comprendre s’explique entre autres par le fait qu’ils ne parlent pas une langue latine.
Le latin est vu comme la langue de Dieu et les langues des peuples des Amériques apparaissent comme dégradées aux yeux de plusieurs intellectuels de la Renaissance. Malgré tout, surtout en Nouvelle-France, des hommes et des femmes vont essayer de porter ces langues à l’écrit pour que plus de gens puissent les étudier et les comprendre.
Lorsque les Récollets et les Jésuites arrivent en Acadie et en Nouvelle-France, le territoire est immense et ils rencontrent des populations aux langues et aux modes de vie différents. Or les Européens ont à affronter les hivers et à apprendre à survivre, ce qui est possible grâce à leurs contacts avec les ancêtres des Premières Nations, notamment les Hurons.
Non seulement la langue est importante pour comprendre le milieu, mais encore plus pour convertir des gens à la religion catholique.
On doit les premiers savoirs sur la langue huronne et micmaque en Acadie à Jean de Brébeuf, voyageur infatigable entre Québec et la Huronie. Au 17e siècle, il nous a laissé un dictionnaire et une grammaire en huron.
On doit aussi au missionnaire récollet Gabriel Sagard, arrivé en Nouvelle-France juste avant Jean de Brébeuf, une ethnohistoire importante des populations autochtones sur le territoire, en particulier les Hurons. Il a écrit Le Grand Voyage du Pays des Hurons en 1632, en plus d’un dictionnaire de la langue huronne, dans lequel la langue est décrite, mais aussi liée aux coutumes des gens.
L’échec de la francisation
Les premières communautés religieuses féminines vont elles aussi être confrontées au défi de communication avec les Autochtones et vont tenter de mieux comprendre leurs langues.

Marie de l’Incarnation raconte l’échec de tentatives d’imposer la francisation. Et alors qu’elle est au début de la quarantaine, elle a essayé d’apprendre la langue iroquoise et de faire l’ébauche d’un dictionnaire, en plus de rédiger des documents pour mieux traduire l’algonquin en français, dans le but d’aider ses pairs à mieux se faire comprendre des habitants avec qui elles échangeaient.
Malgré tout, la mémoire de ces langues est fragile et survit surtout grâce aux communautés qui s’efforcent de les parler, de génération en génération.