Comment faire un avertissement sans se fatiguer

Sophie Durocher
Vous connaissez le fameux slogan de mai 1968: «Il est interdit d’interdire»?
Ça date d’une époque d’ouverture, de liberté, même de libération.
Mais en avril 2023, en cette ère de fermeture, de rectitude politique, de mots interdits, de police de la pensée, il faudrait inventer un nouveau slogan: «Il faut avertir d’avertir».
La situation est devenue tellement ridicule que je ne sais plus si on doit en rire ou en pleurer.
- Écoutez la rencontre Durocher-Dutrizac diffusée chaque jour en direct 12 h 45 via QUB radio :
JE VOUS AVERTIS!
Ce mercredi 12 avril, à la radio de Radio-Canada, Pénélope McQuade recevait Janette Bertrand et Dany Laferrière. Mais si vous allez sur le site du diffuseur national, pour écouter ce segment en rediffusion, un avertissement vous prévient: «Nous tenons à vous aviser que le segment suivant contient un mot qui pourrait heurter certaines personnes».
Mais quel est donc ce mot dangereux, dommageable, fâcheux, funeste, maléfique, honni, nocif, nuisible, préjudiciable, redoutable, sérieux, sinistre, toxique, traître, virulent (oui, je suis allé noter tous les synonymes du mot dangereux)?
Il s’agit du sixième mot du titre du grand succès de Dany Laferrière: Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer.
Oui, mesdames et messieurs, vous avez bien compris. Même quand un de nos plus grands auteurs, membre de l’Académie française, adoubé par de nombreux prix littéraires, chouchou du monde littéraire québécois, prononce le titre de SON PROPRE LIVRE, l’auguste maison de Radio-Canada trouve pertinent de prévenir les contribuables canadiens: «Nous tenons à vous aviser que le segment suivant contient un mot qui pourrait heurter certaines personnes».
Mais qui donc, quel individu normalement constitué, va se rouler en petite boule si Laferrière lui-même cite le titre de son propre livre, qu’il a écrit à la sueur de son front?
- Ne manquez pas La rencontre de l'heure Nantel-Durocher avec Guy Nantel, tous les jours 15 h 00, en direct ou en balado sur les ondes de QUB radio
Bordel! Il n’y a personne dans cette boîte-là qui a vu l’absurdité de la situation proprement orwellienne et kafkaesque?
C’est quoi, la prochaine étape?
Ni Normand Brathwaite ni sa biographe, Isabelle Massé, ne pourront prononcer le titre de la biographie de l’animateur Comment travailler comme un nègre sans se fatiguer? Ce livre est paru en 2012... c’est fou comme les choses ont changé en seulement 11 ans!
LE MONDE À L’ENVERS
Le plus absurde dans l’avertissement radio-canadien, c’est que dans l’entrevue, Dany Laferrière prend la peine de dire qu’il serait encore employé d’usine s’il avait été blanc et que son livre s’était intitulé Comment faire l’amour avec un Blanc sans se fatiguer.
Laferrière prend aussi soin de préciser: «Je suis un des seuls écrivains qui a le droit d’utiliser le mot noir. Il ne faut pas en abuser. Même quand j’ai utilisé le mot noir ou le mot nègre, c’était dans un sens universel».
Je suis d’accord avec vous, Monsieur Laferrière, il ne faut pas en abuser.
Mais quand une société d’État nous «avertit» que l’on pourrait être «heurté» par un auteur qui cite le titre de son propre livre, ça, je considère que c’est... de l’abus.