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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Commander la mort n’est pas un «débat de société»

Le vrai débat est dans l’urgence de meilleurs services pour les personnes handicapées et les familles.
Le vrai débat est dans l’urgence de meilleurs services pour les personnes handicapées et les familles. Photo TOMA ICZKOVITS
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Photo portrait de Josée Legault

Josée Legault

2025-05-23T04:00:00Z
2025-05-23T04:15:00Z
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Devrait-on donner le droit à des parents ou à un soi-disant «comité de sages» d’ordonner la mort de personnes dites lourdement handicapées pour les «libérer» d’elles-mêmes, pour «soulager» les familles ou à cause du manque criant de services publics?

Si cette question vous glace le sang, c’est qu’elle trahit une déshumanisation sidérante des personnes handicapées et de leurs familles.

Or, selon l’ex-politicien Luc Ferrandez, la réponse à cette question digne des périodes les plus sombres du XXe siècle est oui. Le 15 mai, à l’émission qu’il coanime au 98,5 FM, c’est bien ce qu’il a dit.

Cette sortie inimaginable suivait un reportage de La Presse sur le cas révoltant de Florence.

Après une plainte, Florence, une jeune femme ayant une déficience intellectuelle, atteinte du syndrome de Prader-Willi et hébergée dans une ressource intermédiaire incapable d’en prendre soin, a passé huit jours en isolement au «trou» de la prison Leclerc. Oui, au «trou».

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En entendant Luc Ferrandez soulever par la suite l’idée d’euthanasier des personnes dites lourdement handicapées, plusieurs familles et organismes dévoués à leur défense ont dénoncé ces propos abjects.

Sur les médias sociaux, Jonathan Marchand, défenseur de droits et vivant avec un handicap physique, les a aussi dénoncés et rapportés avec minutie.

«C’est un meurtre»

Étant aussi moi-même depuis trente ans l’unique proche aidante de ma sœur née avec une déficience intellectuelle, j’y joins ma voix.

Me Chloé Surprenant, qui a travaillé à la libération de prison de Florence avec Me Kaven Morasse, l’a dit plus clairement encore: «En droit criminel canadien, une aide médicale à mourir qui serait commandée et décidée par quelqu’un d’autre porte un nom précis: c’est un meurtre.» Point.

Le vrai débat, social et politique, est tout autre. Les personnes handicapées, leurs familles et les organismes de défense le mettent pourtant au jeu depuis des années sur la place publique.

Le vrai débat est celui du manque dramatique et croissant de services publics de qualité pour les personnes ayant un handicap intellectuel ou physique.

Il en existe de très bons, mais le fait est que de plus en plus de ressources intermédiaires d’hébergement ne sont pas des milieux de vie adéquats. Des employés, pourtant chargés de prendre soin des plus vulnérables d’entre nous, y sont aussi moins bien formés qu’avant.

Manque de tout

Des familles voient aussi que dans un nombre non évalué de ressources d’hébergement, l’alimentation est de piètre qualité. Que dire des plateaux de travail lorsqu’ils sont sous-payés et non valorisants?

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Et que dire du soutien famélique aux familles et proches aidants, victime en plus de compressions? Du manque de répit. De l’hyper bureaucratisation du moindre service. Des fermetures arbitraires de dossiers dans des CIUSSS.

Des formules d’hébergement humain et de qualité existent pourtant dans le monde. Le gouvernement pourrait aussi s’inspirer entre autres des maisons Véro et Louis pour en créer des versions publiques.

La CAQ n’a pas non plus tenu sa promesse de 2018 d’accorder aux familles naturelles vivant avec leur proche handicapé une équité financière avec les ressources intermédiaires.

Cela permettrait pourtant à plusieurs familles québécoises d’éviter un «placement» forcé par l’épuisement, l’appauvrissement et la détresse.

À l’instar de la société dont elles font partie, les personnes handicapées et leurs familles vieillissent elles aussi. Or, au moment même où leurs besoins augmentent, l’État réduit les services encore plus.

Le vrai débat, il est là. Dans l’urgence de services bien meilleurs, adaptés aux besoins réels des personnes et à échelle humaine.

À l’opposé, prôner l’euthanasie de personnes vivant avec une déficience intellectuelle sous prétexte de lancer un «débat de société» est tout simplement honteux.

Qu’à la même émission on tente maintenant de faire le débat sur les services après avoir reçu une avalanche de plaintes fondées ne l’effacera pas. Le dommage est fait.

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