Pendant combien d’années la Russie pourra-t-elle subvenir au financement de son offensive en Ukraine?
L'armée ukrainienne tente d'ailleurs d'assécher davantage le porte-monnaie russe en attaquant les raffineries de pétrole en Russie


Samuel Roberge
La Russie continue d’envoyer des troupes et du matériel sur le front en Ukraine depuis qu’elle a repris l’initiative à la suite de l’échec de l’offensive ukrainienne à l’été 2023, mais à ce rythme effréné, le Kremlin pourrait finir par vider ses coffres avant même d’avoir atteint ses objectifs.
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«D’ici deux ans, le fonds souverain russe sera vide à la vitesse à laquelle il se vide», a affirmé la semaine dernière l’ex-aviateur militaire et rédacteur-chef de la revue digitale Air et Cosmos, Xavier Tytelman.
Bien que les États-Unis soient réfractaires à la stratégie ukrainienne d’attaquer les raffineries sur le territoire russe, le spécialiste de l’aéronautique et passionné de géopolitique a soutenu en entrevue sur les ondes de LCI que ces attaques permettent de couper les revenus de l’État russe.
Comme une grande partie de l’économie russe est alimentée par l’exploitation et la vente des énergies fossiles, «si les Ukrainiens veulent assécher le porte-monnaie russe, il faut absolument qu’ils continuent à taper sur les centres névralgiques qui sont nécessaires», croit M. Tytelman.
Cette stratégie peut toutefois troubler les prix sur le pétrole au niveau mondial et c’est pour cette raison que le président américain Joe Biden s’y oppose puisqu’une augmentation du prix du baril pourrait alimenter l’inflation et ainsi nuire à sa candidature aux élections présidentielles à la fin de l’année.

«Un déficit budgétaire abyssal en 2025»
Les informations sur l’épuisement des fonds russes ont été corroborées par un ancien officier du renseignement militaire français, Pierre-Marie Meunier, dans un article qu’il a écrit dans Le Rubicon à la fin avril.
Selon lui, pour subvenir à ses dépenses qui s’accumulent depuis son invasion en Ukraine, la Russie «pioche» déjà «dans ses réserves financières, dont la National Welfare Fund, son fonds souverain et la principale réserve de liquidités à sa disposition pour équilibrer son budget».
«À défaut d’une évolution majeure de sa trajectoire budgétaire actuelle, la Russie verra l’épuisement de ce fonds souverain fin 2024, avec pour conséquence un déficit budgétaire abyssal en 2025 que la Russie ne pourra plus compenser», a-t-il affirmé sur la plateforme francophone d’analyse des questions internationales.

Heureusement pour les Ukrainiens, l’analyste Xavier Tytelman estime que la Russie sera loin d’atteindre ses objectifs à court terme et encore plus loin pour ceux à long terme à la fin de l’année 2024.
«La contre-offensive ukrainienne de l’été 2023 est un échec, ils ont progressé de 400 kilomètres carrés en trois mois. Les Russes font exactement la même chose aujourd’hui, a mis en contexte M. Tytelman dans une autre entrevue sur les ondes de LCI dimanche dernier. Il faut attendre l’année 2036 pour que les Russes prennent le Donbass au rythme actuel, donc on n’est pas sur un front qui est en train de s’effondrer.»

De plus, l’expert en aéronautique, considéré «optimiste ukrainien dans l’âme» par l’animateur Darius Rochebin, n’a pas confiance dans les capacités russes quant à l’exploitation d'une brèche qui pourrait mener à une déroute de l’armée ukrainienne.
«S’ils arrivaient à faire s’effondrer le front sur 10 kilomètres, ils avanceraient sur 5-10 kilomètres derrière, ce serait gigantesque encore une fois parce qu’ils ont pris l’équivalent de la forêt de Fontainebleau (près de 250 kilomètres carrés) en trois mois, a souligné M. Tytelman. S’ils arrivaient à doubler cette capacité en quelques semaines, ce serait certainement le maximum qu’ils pourraient réaliser.»
Après la chute de Bakhmout et d’Avdiivka, Tchassiv Iar, nouveau point central des offensives russes?
Après avoir déployé beaucoup de ressources pour prendre la ville de Bakhmout en février 2023 – dont entre autres les troupes de la milice privée Wagner – et la forteresse d’Avdiïvka en février 2024, l'armée russe concentre ses attaques sur la ville de Tchassiv Iar dans sa bataille du Donbass.

La petite ville de près de 12 000 habitants avant la guerre était probablement méconnue par ceux qui n’habitent pas la région, mais elle est aujourd’hui un point stratégique à capturer pour que la Russie puisse poursuivre son offensive dans le Donbass, l’un des quatre Oblasts que la Russie a annexés en septembre 2022.
Selon l’Agence France-Presse, l’armée russe s’était donné l’objectif de prendre la position forte avant le Jour de la victoire en Russie, soit le 9 mai.
La géographie de la région fait de Tchassiv Iar le point le plus élevé et donc la localité stratégique facile à défendre pour les Ukrainiens, d’après les analyses publiées sur la chaîne YouTube Kings and Generals qui se concentre sur l’explication des différentes batailles historiques.
Selon la chaîne YouTube, l’armée russe emploie une stratégie similaire à celle employée pour la prise Bakhmout, soit des attaques par les flancs pour couper les lignes de ravitaillement.

Elle tentera ensuite de compléter son offensive avec une attaque frontale pour prendre ce point élevé occupé par les Ukrainiens.
La chute de Tchassiv Iar pourrait ouvrir la porte à l’armée aux quatre «dernières cités-forteresses» du Donbass. La chaîne rapporte d'ailleurs qu’un porte-parole de l’armée ukrainienne a reconnu ce risque.
«Si les occupants russes arrivent à capturer cette ville, ils auront l'opportunité de lancer des offensives sur Konstyantinivka, Druzhkivka, Kramatorsk et Sloviansk», a déclaré le porte-parole de groupe de forces Khortytsia, Nazar Volochine.