Claude Poirier: «Je le dis et je le répète: j’ai échoué dans ma vie personnelle»
Daniel Daignault
C’est devenu un cliché d’affirmer que Claude Poirier est tout un personnage... mais c’est la réalité! Dans Poirier, le testament, une série documentaire fascinante, il s’est confié sans retenue, comme toujours, à Paul Arcand.
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Claude Poirier a eu 86 ans en octobre dernier, et il n’a perdu ni son franc-parler ni ses expressions colorées, et encore moins la mémoire! Fidèle à ses habitudes, c’est en toute franchise et sans détour qu’il revient sur sa carrière et sur les hauts et les bas qu’il a connus, dans ces huit épisodes de 30 minutes.
Le repaire de Claude, au cours de sa carrière, était le restaurant Le Roi du Smoked Meat, situé sur la rue Saint-Hubert, confie-t-il. «C’est là que je rencontrais certaines personnes qui ne fréquentaient pas les vêpres, le dimanche soir à 19 h, dont Richard Blass.» C’est à l’initiative de Paul Arcand que la série a vu le jour. «Je me suis assis avec Paul durant trois samedis, à raison de quatre heures par jour, pour me faire interviewer. Et il était préparé; il est allé chercher des témoignages de personnes qui me connaissent», raconte-t-il.
À la rescousse de Paul Arcand!
Claude a connu Paul Arcand alors qu’il était un jeune journaliste à la station de radio CKVL. Claude l’a même tiré d’embarras un soir. «On ne se rencontrait pas souvent, jusqu’au moment où il m’a téléphoné un samedi soir. Paul travaillait de nuit et il avait fait l’erreur d’ouvrir la porte de la station à un gars qui a pointé une arme sur lui. Il lui a dit qu’il voulait me rencontrer. Je me suis habillé, je suis parti de l’île des Soeurs et je suis allé chercher le gars.» Claude s’est consacré corps et âme à son métier de journaliste. C’est à lui que les criminels faisaient appel lorsqu’ils se trouvaient en mauvaise posture. Celui qu’on a surnommé le Négociateur confie à cet effet: «J’ai fait au-delà de 60 prises d’otages et enlèvements, dit-il. J’ai livré 250 détenus et j’ai souvent sauvé la vie de bien du monde. Mais j’ai échoué dans les cas de Jolène Riendeau, de Julie Surprenant et de Cédrika Provencher», ajoute-t-il.
De ses chroniques à la radio à ses apparitions télé, en passant par les nombreux événements qu’il a vécus, Claude Poirier jette un regard lucide sur sa carrière et sa feuille de route. «Ça n’a pas de bon sens ce que j’ai fait. Je n’avais pas d’études universitaires, j’ai appris mon métier sur l’asphalte, lance-t-il. En 1960, il n’y avait que Frenchie Jarraud qui couvrait des incendies, et il avait une voiture identifiée. Il a un peu été le mentor qui m’a permis de mettre le pied dans ce métier-là.»
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Huit mois sans salaire
Claude s’est présenté à CJMS dans l’espoir de se faire engager, alors qu’il vendait des accessoires électriques au magasin de son père. «Paul Cooke, le patron, m’a dit qu’il n’avait pas d’argent pour me payer. Je lui ai dit qu’il n’avait pas besoin de me payer: je voulais lui montrer ce que j’étais capable de faire. J’ai travaillé gratuitement pendant huit mois. Ma mère, Ticoune, Mariette Leblanc, me donnait de l’argent en dessous de la table pour arriver, parce que mon père était en colère que je ne travaille plus pour lui.» À 86 ans, Claude se plaît à répéter que vieillir est un privilège. «Tu regardes autour de toi et il y en a beaucoup qui sont partis. Tous les jours, je vais sur ma tablette et je regarde les avis de décès. La fin de semaine dernière (avant que l’on se rencontre), j’en ai trouvé cinq que je connaissais et qui sont décédés. À mon âge, je suis très conscient que j’en ai vécu, des affaires. J’ai joué avec le feu et la mort toute ma vie.»
Quand je lui fais remarquer qu’il n’a pas changé et qu’il semble relativement en bonne forme, il précise: «J’ai eu cinq pontages en 2013 et depuis le 4 décembre 2023, je ne fume plus. Mais mes artères n’étaient pas bloquées à cause de la cigarette; c’est le stress que j’ai vécu qui m’a causé des problèmes. J’entrais dans des endroits sans savoir qui était derrière la porte. On aurait pu me tirer », dit-il. D’ailleurs, Claude, qui a déjà fait l’objet de menaces, a vécu des moments invraisemblables. «Un jour, un homme m’appelle pour me demander de me rendre à tel endroit, sur la rue Fullum. Je lui ai demandé pourquoi, et il m’a répondu: «Hier j’ai fumé, on a pris un coup, et je pense que j’ai tué une femme... Elle est dans le bain.» Je me suis rendu sur les lieux, et il avait raison: il y avait une femme dans le bain. Chaque fois qu’une situation comme celle-là survenait, je disais au gars de ne pas me raconter ce qui s’était passé. On va parler de n’importe quoi, mais pas de ça, parce que sinon on va m’assigner comme témoin et je vais être obligé d’aller témoigner contre toi en cour. Je n’ai jamais témoigné contre personne dans des causes que j’ai faites. J’étais toujours sur la corde raide», ajoute-t-il.
«Faites venir Poirier!»
Lorsque des individus faisaient appel à Claude Poirier pour négocier leur reddition, les policiers n’étaient pas chauds. «Ça les faisait c... ils ne voulaient rien savoir de ça. J’étais très mal vu par bien des policiers, lance-t-il. Chaque fois que j’ai été impliqué dans des prises d’otages et des cas d’enlèvement, c’est les gars qui demandaient que je me rende sur place, pas la police. Ils avaient confiance en moi et souvent, ils me demandaient de leur trouver des avocats.»
Lui est-il arrivé d’avoir peur? «Oui! s’exclame-t-il. Un jour, un policier m’a appelé pour me demander si je pouvais me rendre à Rosemère. La fille d’un gérant de Caisse populaire avait été enlevée à Lachute, et les gars avaient dit aux policiers: “Si vous voulez revoir la fille vivante, faites venir Poirier!” Je me suis rendu là, les policiers m’ont laissé partir avec Robert Brown, et on est allés dans un motel. À un moment, il a sorti son arme et m’a dit: “Je te truste, je te fais confiance, mais si tu fais quelque chose, c’est pas un cadavre, mais deux qu’ils (les policiers) vont trouver.” J’ai essayé, en vain, de le convaincre de ne pas se suicider.»
Claude a une fille, Maryse, et est grand-père de trois filles. Pour la première fois, il est aussi devenu arrière-grand père d’un garçon prénommé Enzo. «C’est sûr que je me reprends un peu avec ma fille et les enfants. Et puis il y a Andréa, qui est une femme extraordinaire. Ça fait 30 ans qu’on est ensemble, et on a été mariés durant 27 ans», dit-il. Lorsqu’il est question de sa vie de tous les jours auprès des siens, Claude ne passe pas par quatre chemins. «Je le dis et je le répète: j’ai échoué dans ma vie personnelle.» Même s’il n’a pas le sourire facile et qu’il confie que sa fille trouve qu’il est grincheux, il est pour le moins unique.
La série documentaire Poirier, le testament est présentée dès le 10 janvier à 21 h sur la chaîne TÉMOIN.