Civisme et respect dans les écoles au Québec: le ministre Drainville nostalgique des années 1970


Shophika Vaithyanathasarma
On peut bien coller un «Madame» devant une insulte, ça ne change rien au fond. Vous l’avez pas vu venir, hein? La rentrée scolaire en 2025 se fera sous le signe du respect: interdiction des cellulaires, vouvoiement et utilisation des expressions «Madame» et «Monsieur» obligatoire dans les écoles privées et publiques au Québec.
Cette annonce du ministre Drainville témoigne d’un recentrage de l’école sur ses missions premières: l’apprentissage, la discipline et le respect. Recentrer l’école sur ses fondamentaux, limiter les distractions et promouvoir un langage respectueux sont des objectifs légitimes. Sur ce point, saluons la cohérence dans les intentions du ministre Drainville.
La nuance entre violence, respect, civisme est importante. Parmi les mesures annoncées, celle qui se distingue réellement par son potentiel d’impact concret est la création d’équipes d’intervention spécialisées, destinées à soutenir les écoles confrontées à des problèmes graves de violence. C’est la seule mesure qui, à court terme, pourrait véritablement améliorer le climat scolaire.
Retour en 1970
Mais le reste, surtout le vouvoiement obligatoire, je regarde ça et j’ai l’étrange impression d’un retour accéléré aux années 1970. Sauf qu’au lieu de leur faire écouter du Harmonium et de leur faire réciter Speak White, on impose aux élèves des codes sociaux figés et une désintox numérique totale, comme si l’époque où le téléphone avait un fil et le professeur un bâton était l’âge d’or de l’éducation! Une étude menée par Lambert et Tucker démontrait que l’usage du «tu» chez les adultes est, dans les années 1970, une marque de modernité, alors que le «vous» était vu comme une marque de conservatisme et des rapports hiérarchiques figés.
Mais sur le terrain, les réalités sont plus complexes.
Samy-Jane, une enseignante en classe d’accueil apporte une tout autre perspective: «C’est difficile, parce que les codes sociaux et linguistiques ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Un de mes élèves qui parle le swahili ne m’a jamais vouvoyée... le «vous» n’existe pas dans sa langue maternelle!» Voilà: le langage est un terrain de rencontre, pas un outil de contrôle.
Contrôler les profs
Tutoyer les adultes ne signifie pas que les élèves vont aller prendre une bière ou élever les cochons avec les membres du personnel scolaire. Soyez sans crainte, le vouvoiement n’est pas en voie d’extinction! D’autres études démontrent que les jeunes le pratiquent, progressivement, au fil des rencontres non personnelles.
Imposer le «vous» dans nos écoles revient presque à remettre l’uniforme, le chapelet et l’inspecteur d’école dans le décor. Revenir au «vous» imposé, c’est remettre en place une distance sociale que plusieurs croyaient dépassée – ou, au minimum, méritée, pas automatique.
L’an dernier, j’avais des élèves qui me disaient «Madame» en me tutoyant, d’autres qui me vouvoyaient... mais avec mon prénom. Un joyeux mélange de codes. Et franchement, certains adultes n’aiment plus se faire vouvoyer, surtout en 2025. Donc le vouvoiement qu’on impose aux élèves, on l’impose aussi à des adultes.
La gestion du climat scolaire ne repose pas que sur des règles linguistiques ou des interdits, mais sur des interventions structurées, adaptées, concrètes!