Cité Liberté: les premiers acheteurs de la maison Bitcoin des frères Tadros ont déjà déchanté
Ils ont payé une fortune en électricité pour produire de piètres gains en cryptomonnaies


Nora T. Lamontagne
Les jumeaux Tadros leur avaient promis une maison du futur chauffée grâce aux bitcoins, avec des revenus à la clé. Moins d’un an après leur achat, les premiers résidents de leur Cité Liberté ne veulent plus rien savoir des cryptomonnaies.
«Ils vont vanter les mérites de notre maison, mais il n’y a rien qui a fonctionné!» s’exclame Jean-Philippe Ouellet, qui a acheté une propriété autoconstruite par Daniel et Éric Tadros fin 2024.

Sa maison bigénérationnelle est la première du projet immobilier de Cité Liberté imaginé par les frères jumeaux à Sainte-Julienne, dans Lanaudière.
Les Tadros, d’abord connus pour leurs chansons, puis pour leurs positions complotistes pendant la pandémie, font maintenant la promotion de ce projet «unique au monde».
Ils ont même attiré l’attention de Tim Draper, un milliardaire américain de la mouvance libertarienne, qui a brièvement été actionnaire majoritaire de leur société à numéro, avant de céder ses parts à l’été 2024.
Chaleur recyclée
Leur concept consiste à installer au sous-sol des propriétés des appareils de minage de cryptomonnaie censés générer des revenus passifs – entre 500$ et 1000$ par mois, selon leurs estimations.

La chaleur intense produite par ces machines est ensuite réutilisée pour chauffer la maison.
Les deux frères gardent 15% des revenus de crypto en échange de la location et de l’entretien d’une douzaine d’appareils de minage.
«Mesdames et messieurs, bienvenue dans le futur», fanfaronnait l’un des deux frères Tadros en anglais sur TikTok il y a quelques mois.
Or, ce qu’il ne précise pas dans cette vidéo, ce sont les coûts exorbitants de l’électricité associés au minage intensif de cryptomonnaie à domicile.
3000$ d’électricité
La famille de Jean-Philippe Ouellet l’a découvert avec stupéfaction en recevant ses premiers comptes d’Hydro-Québec.
La facture de leurs deux logements combinés s’est élevée à près de 3000$ entre décembre et février, selon les documents consultés par notre Bureau d’enquête.
Leurs gains en crypto, eux, ne leur ont rapporté qu’autour de 800$ pendant la même période.
Et ce, même si la valeur du bitcoin dépasse les 100 000$ depuis novembre dernier.

De nombreux problèmes techniques ainsi qu’un dégât impliquant du liquide de refroidissement dans la salle des machines n’ont qu’aggravé leur frustration.
«À chaque bris, c’était long. La fois où les tuyaux ont pété, ça a pris un mois avant qu’Éric [Tadros] vienne régler ça», relate M. Ouellet, qui n’avait aucun intérêt particulier pour les bitcoins.
Plus simple de débrancher
Sa famille et ses parents cherchaient simplement une maison à deux logements où vivre ensemble dans la région.
Après six mois à perdre de l’argent, ils ont tout simplement préféré débrancher les appareils de minage de cryptomonnaie.

«Ce n’est pas pour rien qu’on a débarqué», affirme le trentenaire, tout en mettant en garde les intéressés par le projet (voir autre texte).
Car tous ces inconvénients ne semblent pas avoir refroidi les frères Tadros, qui cherchent activement à vendre deux autres maisons sur les terrains voisins de celui de M. Ouellet.

Les jumeaux n’ont pas répondu aux questions de notre Bureau d’enquête.
Mise à jour : Dans une vidéo TikTok diffusée mardi, l'un des frères Tadros remercie le Journal pour la couverture de son projet. Il affirme toutefois erronément que notre Bureau d'enquête ne l'a jamais contacté. Nous avions pourtant envoyé un texto, un message vocal, un courriel au bureau du projet et un courriel à une attachée de presse, qui sont tous restés sans réponse.
Économiser en chauffant aux bitcoins: plus facile à dire qu’à faire, selon cet expert
Les propriétaires québécois intéressés par le chauffage aux bitcoins risquent de perdre de l’argent s’ils font tourner leurs machines à longueur de journée sans avoir besoin de toute la chaleur produite.
«Pour que ce soit un bon achat, il faut remplacer la chaleur qu’on génère déjà, pas en rajouter», résume Jonathan Bertrand, fondateur de D-Central, une compagnie qui vend et répare des appareils de minage de bitcoin.

Comme plusieurs, ce Québécois estime que les maisons de l’avenir pourraient intégrer une infrastructure de minage qui permettrait de faire baisser sa facture de chauffage, surtout dans notre climat hivernal.
Toute la chaleur produite par les machines énergivores pourrait ainsi être réutilisée pour réchauffer une pièce, l’eau d’une piscine ou des planchers par exemple.
Jonathan Bertrand y va toutefois de quelques conseils pour éviter des frais en électricité plus élevés que ses revenus en cryptomonnaies, comme dans le cas de la maison Bitcoin de Jean-Philippe Ouellet à Sainte-Julienne (voir autre texte).
- Remplacer des calorifères par des machines de minage qui consomment la même quantité d’énergie, en watts. Il est souvent possible d’acquérir pour quelques centaines de dollars des appareils moins puissants et désuets aux yeux de l’industrie, mais qui fonctionnent encore parfaitement. «À consommation électrique égale, cette machine produit des bitcoins; et le calorifère, non», résume M. Bertrand.
- Estimer correctement ses besoins en chauffage et s’équiper en conséquence. «Si je chauffe un spa et que je ne l’utilise jamais, il n’y a pas de plus-value», résume le spécialiste du bitcoin. En règle générale, un appareil de minage par pièce suffit.
- Prendre en compte dans ses estimations les tarifs modulaires d’Hydro-Québec. Les 40 premiers kilowattheures (kWh) par jour coûtent 6,68¢/kWh, mais le tarif augmente ensuite à 10,65¢/kWh. Les appareils de minage consomment régulièrement plus que le tarif de base. À partir de 50 kWh, la société d’État applique un tarif de 15¢/kWh pour dissuader les mineurs résidentiels de cryptomonnaie.
Enfin, Jonathan Bertrand rappelle que le minage de bitcoin est loin d’être une science exacte.
Non seulement la valeur du bitcoin fluctue grandement, mais le coefficient de difficulté pour en miner varie au gré des investissements.
Les autres tentatives des jumeaux Tadros

Une version minimaison
En 2022, Le Journal rapportait que la première mouture du projet des Tadros impliquait des minimaisons équipées d’appareils de minage de cryptomonnaie et des démarches alambiquées de la part des vendeurs. Il ne s’est finalement jamais concrétisé.
Parfait pour les brebis
Les frères jumeaux se sont lancés dans la vente de «chaufferettes Liberté», conçues pour les bergeries. Sur Facebook, ils proposaient de distribuer une centaine de ces appareils gratuitement dans le cadre d’un projet pilote.
• Regardez aussi ce podcast vidéo tiré de l'émission de Mario Dumont, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
L’ABC du minage du bitcoin
Les mineurs de bitcoin se servent d’appareils puissants pour résoudre des calculs permettant de valider des transactions. En échange, ils reçoivent une fraction de bitcoin.