«Je veux savoir la vérité»: elle dénonce la maltraitance envers sa défunte mère en CHSLD

Isabelle Maréchal
Martine Simard ne sait plus vers qui se tourner pour avoir des réponses concernant la maltraitance dont aurait été victime sa mère de 86 ans, Gemma Dufour. L’ex-résidente du CHSLD de La Prairie, décédée en décembre dernier, aurait été agressée physiquement par un préposé aux bénéficiaires quelques semaines plus tôt, mais jamais la direction de l’établissement n’a jugé bon de prévenir sa fille Martine, qui avait pourtant l’habitude de rendre visite à sa mère plusieurs fois par semaine.
Dans un courriel envoyé le 19 septembre dernier à Philippe Gribeauval, PDG du CISSS de la Montérégie-Ouest, Martine Simard témoigne de son inquiétude face aux allégations de mauvais traitement envers sa mère. Gemma Dufour, atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis 15 ans, pesait à peine 100 livres et se trouvait en fauteuil roulant depuis deux ans.
«J’ai appris en août dernier qu’une employée aurait vu un PAB maltraiter physiquement ma mère. J’ai aussi appris qu’une firme enquêtait et on m’a confirmé qu’un employé avait été suspendu concernant cette agression et qu’une enquête de police était en cours. Pourquoi n’ai-je jamais été informée?» s’insurge Mme Simard, qui estime être en droit de savoir ce qui s’est passé.
«Je ne comprends pas pourquoi on ne m’a pas avisée de cette situation. J’ai parlé au gestionnaire, à sa supérieure, au commissaire aux plaintes, à la police, et j’ai eu très peu de réponses.»
Et à chacune de ses demandes d’informations, Mme Simard constate que les gestionnaires sont plus préoccupés à trouver l’employée qui l’a mise au courant que de trouver le coupable des gestes allégués.

Plusieurs témoins
Le 10 octobre 2023, Nathalie*, une préposée aux unités (PAU) qui distribue des vêtements aux résidents, arrête son chariot devant la chambre 428 de Gemma Dufour. Elle voit Robert*, un costaud préposé aux bénéficiaires qui mesure plus de six pieds, asséner un violent coup de poing sur l’épaule de la résidente âgée. Deux jours plus tard, encore bouleversée par l’acte de maltraitance dont elle a été témoin, Nathalie avertit sa gestionnaire, qui lui demande si elle en a parlé à d’autres employés. La gestionnaire lui dit que désormais, le dossier est confidentiel. Aucun rapport d’incident n’est rempli à ce moment-là. Ce n’est qu’en juin dernier qu’il y aura plainte officielle à la police.
Dans une autre déposition, une autre employée, Nancy Dubreuil, affirme avoir elle aussi été témoin d’actes de maltraitance envers plusieurs résidents de la part du même préposé.
«Il tapait avec vigueur sur la tête d’un résident, en lui disant: Ça va Gilles? Réponds Gilles, explique-t-elle. Le résident en question était pourtant non-verbal ! Aussi, je l’ai vu déplier avec force les bras d’un autre résident qui avait le corps raide et qui était replié sur lui-même. Cela faisait souffrir le résident qui criait de douleur. Tout ça se produisait de façon quotidienne. Je ne savais pas à qui en parler. Je n'avais personne en qui j'avais confiance. J’avais peur de lui. »
Épuisée, Nancy démissionne. Elle travaille désormais dans une maison en soins palliatifs «qui respecte ses résidents et où je vois plein de belles choses malgré la fin de vie.»
Suspendue sans solde
La responsable du centre de jour, Mélanie Rocco, dépose à son tour une plainte à la police en juin dernier. Elle témoigne alors d’un climat de travail malsain au CHSLD de La Prairie, où les gestes de négligence et de maltraitance sont tolérés. Selon elle, il arrive notamment que des résidents ne reçoivent pas leurs médicaments, faute de personnel. Ils resteraient souvent la couche souillée, dans leurs excréments.
Des employés décident de se regrouper afin de dénoncer l’inaction de l’établissement, ce qui mettrait en péril la sécurité des résidents. Ils écrivent aux ministres Christian Dubé et Sonia Bélanger, leur demandant d’intervenir. Jeudi dernier, Mme Rocco, porte-parole du groupe, a appris qu’elle était suspendue deux semaines sans solde. Les employés n’en reviennent pas.
«C’est la goutte qui fait déborder le vase. Comment se fait-il qu’on puisse punir les gens qui dénoncent la maltraitance? Le préposé qui a frappé Gemma Dufour et maltraité deux autres résidents, n’a eu que trois semaines de suspension, et avec solde, et il est relocalisé auprès d’une clientèle encore plus vulnérable.»
«Il est obligatoire de dénoncer la maltraitance, sous peine d'amende, mais quand on le fait, on devient une cible auprès de la haute direction», affirme le groupe de préposés du CHSLD La Prairie dans un courriel envoyé le 28 juin dernier au bureau de la ministre Sonia Bélanger.
«Nos employés sont dans l’obligation de dénoncer. Le fait qu’une de nos salariées soit suspendue sans solde pour avoir dénoncé, c’est certain que ça contribue à l’omerta dans le réseau de la santé», explique Joëlle Lavoie-Vigeant, représentante nationale de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) en Montérégie en entrevue.
Des ecchymoses
Au cours des dernières années, Martine Simard avait remarqué des ecchymoses sur le corps de sa mère.
«J’ai pris des photos et signalé ces marques à plusieurs reprises aux infirmières. Aujourd'hui, je veux savoir si cela a été documenté dans son dossier médical», insiste-t-elle avec détermination. Jusqu’à maintenant, on lui refuse l’accès au dossier de sa mère.

«Ma mère Gemma ne parlait plus depuis sept ans. Comment peut-on s’en prendre à une personne si vulnérable?» s'interroge Martine Simard, la voix tremblante.
«L’agresseur est encore dans le système et il va peut-être s’en prendre à d’autres. C’est épouvantable», se confie avec émotions Mme Simard dans une entrevue exclusive à Isabelle Maréchal.
Présente aux côtés de sa mère tout au long de son séjour au CHSLD, elle s’investissait comme aidante, veillant à combler les lacunes des soins prodigués par un personnel souvent débordé. Aujourd’hui, elle ne compte pas se taire.
«Je veux savoir la vérité. C’est inacceptable. Personne ne devrait mourir ainsi, dans l’ombre de la violence», s’indigne-t-elle.
Le CHSLD de La Prairie a déjà été pointé du doigt pour des manquements aux soins ces dernières années. Dans un rapport d’évaluation lors des visites en janvier 2019, il est recommandé à l’établissement de procéder à plusieurs ajustements, notamment en ce qui concerne le traitement des plaintes, la communication avec les proches, et les services aux résidents.
*Certains noms ont été changés
- En collaboration avec Florence Lamoureux