Chou-fleur, asperge et céleri: Des légumes de luxe pour les mieux nantis du 18e siècle

Yvon Desloges
Pour vous documenter sur les légumes présents dans la colonie aux 17e et 18e siècles, vous pourriez utiliser trois sources principales : Le jardinier français de Nicolas Bonnefons, publié en 1651, présente les légumes connus en France ; Histoire véritable et naturelle de Pierre Boucher permet de repérer la plupart des légumes connus dans la colonie, en dépit de certaines omissions ; enfin, les annonces des marchands grainetiers de la fin du 18e siècle permettent de constater la disparition ou l’apparition de certains légumes.
Un relevé des divers légumes cultivés dans les jardins écossais entre 1650 et 1750 nous donne un portrait très similaire.
Les nouveautés
Seuls le céleri et les patates apparaissent comme nouveautés à la fin des années 1700. Toutefois, ceci est trompeur, car les nouveautés se cachent derrière les variétés et, dans le cas du céleri, il s’agit d’une nouveauté du premier tiers du 18e siècle, du moins dans la colonie. Prenons l’exemple du chou : derrière le générique se cachent 22 variétés depuis le chou hâtif, jusqu’au chou de Savoie, sans oublier le chou kale, le chou de Bruxelles ou le chou-fleur. Et derrière le chou de Savoie se camouflent cinq autres variétés !

Fèves et haricots ne sont pas en reste : le marchand de graines Macnider en offre 14 variétés en 1794. Les laitues en comptent 10 depuis la pommée jusqu’à la laitue Silicia ; le navet, huit, et l’oignon revendiquent plusieurs pays d’origine depuis l’Espagne, le Portugal et la France, sans mentionner ses couleurs qui passent du blanc, au jaune et au rouge. Même chose pour le brocoli, qui se décline comme hâtif, mauve ou blanc ! Le céleri – cultivé dans la colonie depuis au moins 1723 et peut-être antérieurement – revendique six variétés depuis le rouge et le blanc jusqu’au céleri-rave. Bref, les légumes publicisés sont diversifiés. Mais sont-ils consommés, et si oui, par qui ?
Légumes pour l’élite
Une entente entre la femme d’un officier des troupes de la Marine et un jardinier en 1739 lève le voile sur certains aliments cultivés dans son jardin : du chou, de l’oignon, de la chicorée, des poireaux, du céleri, de la betterave, de la carotte et du panais. Il faut toutefois éviter de se servir de cet exemple pour en étendre la consommation à toute la société. Le même commentaire s’applique pour le chou-fleur, dont la religieuse de l’Hôtel-Dieu commande des graines en France. Qu’en est-il ?
Certains légumes ne sont consommés que par une minorité. Pourquoi ? Il faut savoir que les meilleures graines de chou-fleur proviennent d’Italie, bien que les maraîchers de Montréal en produisent à l’occasion. Évidemment, l’importation, comme de nos jours, signifie un coût supplémentaire. Le chou-fleur demande par ailleurs deux saisons pour parvenir à maturité. D’autre part, les asperges demandent, selon Bonnefons, de deux à trois ans avant d’être consommées ; d’où la répercussion sur le coût. Le céleri viendrait également d’Italie. Ces trois légumes au 18e siècle sont considérés comme des légumes de luxe.

Carottes, panais et betteraves exigent des conditions de conservation particulières, comme d’être conservés dans le sable et dans un endroit protégé comme un caveau, quoique les deux premiers légumes puissent rester en terre pendant l’hiver, tout comme les poireaux. Par ailleurs, les graines de poireaux sont aussi importées. Par contre, d’autres légumes deviennent moins populaires au fil des ans, comme le salsifis et le topinambour.
Dans les jardins

Une compilation de baux de jardins dans la région de Montréal fait ressortir les légumes les plus cultivés durant les années 1720-1780. Par ordre d’importance de mentions – il est important de le souligner, car en aucun temps est-il question de quantité – apparaît d’abord le chou (pommé ou autre), suivi par l’oignon et, à égalité, la laitue et la chicorée (une variété de laitue), ensuite par le céleri et les divers fèves et haricots. Viennent ensuite la carotte, la betterave, à égalité l’asperge et la rave, suivies du poireau et des « racines » sans précision (panais, topinambour ou autres). Concombre, navet, pois en gousse et maïs ferment la marche. Dans ce dernier cas, rien d’étonnant puisque ce légume, tombé en désuétude, ne sert que de dépanneur et de nourriture pour les animaux, et pousse surtout en plein champ.
Repas à l’hôpital et dans les pensions
L’alimentation des patients de l’Hôtel-Dieu de Québec repose sur quelques légumes de base : à savoir pois, fèves, lentilles, navets et betteraves, et cette nomenclature doit être considérée dans l’ordre. Les deux derniers légumes n’apparaissent qu’à compter des années 1750 alors que les lentilles sont consommées surtout au 17e siècle.
Dans les pensions alimentaires exigées dans les donations de la région de Québec, la hiérarchie des légumes s’établit comme suit : en premier lieu, les pois exigés dans 60 % des cas, suivis des choux (47 %), de l’oignon (43 %) et de la patate (18 %) qui n’apparaît qu’à compter de 1766, mais dont la culture se propage très rapidement, du navet incluant le chou de Siam (8 %) et du poireau (5 %) ; betteraves, lentilles, carottes, concombres ferment la marche et ne sont présents que dans moins de 1 % des pensions alimentaires, signe de leur faible attraction auprès de la population rurale.
Autant dans la région de Montréal que dans celle de Québec, une hiérarchie de la préférence des divers légumes se fait jour : chou, oignon, fèves et haricots se distinguent. Carottes, betteraves, asperges, poireaux, panais, navets, concombres sont consommés, mais en faible quantité. Le panais est totalement absent des demandes alimentaires dans la région de Québec malgré l’offre soutenue de graines de semence ; il en tient peut-être qu’il est beaucoup plus populaire chez les anglophones.
Céleri-rave sauce rémoulade

Cette recette utilise le céleri-rave, un légume qui n’est pas consommé aussi fréquemment de nos jours qu’il le devrait. Polyvalent, il se consomme en salade comme l’illustre cette recette du 18e siècle ou encore comme substitut aux pommes de terre. Le céleri-rave est devenu en 1831 l’une des variétés de céleri planté en jardin, selon François-Joseph Perrault. À cette date, il y a une bonne soixantaine d’années que les graines en sont annoncées pour la première fois.
Ingrédients
- 2 céleris-raves moyens
- 30 ml (2 c. à s.) de ciboulette hachée menue
- 3 échalotes grises hachées menu
- 30 ml (2 c. à s.) de câpres hachées menu
- 30 ml (2 c. à s.) de persil haché menu
- 4 filets d’anchois lavés à l’eau froide et hachés menu
- 10 ml (2 c. à t.) de moutarde de Dijon
- 115 ml (1⁄2 tasse) d’huile d’olive
- 45 ml (3 c. à s.) de vinaigre de vin blanc
- Sel et gros poivre
Préparation
- Peler la rave et la couper en gros morceaux.
- Couvrir d’eau bouillante et faire bouillir 5 minutes.
- Laisser refroidir puis râper.
Sauce
- Hacher ciboulette, échalote, câpres, persil et anchois.
- Mélanger le tout et assaisonner avec le sel et le poivre concassé.
- Délayer en ajoutant la moutarde, l’huile et le vinaigre.
- Intégrer la sauce au céleri-rave et mélanger. Laisser au frais 4 à 6 heures. Servir.
Source : Traité historique et pratique de la cuisine, 1758