Choc anaphylactique, idées suicidaires ou vomissements: les erreurs en pharmacie ont de graves conséquences sur les patients
Une douzaine de pharmaciens ont été blâmés dans la dernière année par leur ordre professionnel

Hugo Duchaine
Choc anaphylactique, idées suicidaires ou vomissements: des pharmaciens ont récemment été blâmés pour des erreurs d'ordonnances aux lourdes conséquences sur les patients, menant souvent à une hospitalisation.
Dans la dernière année, une douzaine de pharmaciens ont été sanctionnés par le Conseil de discipline de leur ordre professionnel, parce qu’ils ont remis le mauvais médicament à un patient.
Certains exemples, tirés de jugements disciplinaires, donnent froid dans le dos:
- Un bébé de 17 mois qui reçoit un opiacé trop puissant, provoquant des vomissements et des tremblements.
- Une femme a quitté la pharmacie avec des pilules pour réduire sa glycémie, plutôt que les antidépresseurs dont elle avait besoin.
- Une patiente est tombée en choc anaphylactique après une injection, car son allergie n’avait pas été prise en compte.
- Écoutez l'entrevue avec Jean-François Desgagné, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec à l’émission de Marie Montpetit via QUB radio :
«La pharmacie rapide, c’est un modèle qui doit être revu», plaide le pharmacien et professeur à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, Francis Richard.
La pénurie de main-d’œuvre, la multiplication des tâches professionnelles et les besoins de concentration des pharmaciens augmentent les risques d’erreur.
«On ne peut pas banaliser ces erreurs-là, mais il faut aussi comprendre ce qui a amené les pharmaciens à les commettre», fait-il valoir.

D’ailleurs, l’an dernier, le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), Bertrand Bolduc, craignait, en entrevue avec Le Journal, que la pénurie de main-d’œuvre qui secoue son milieu n’entraîne plus d’accidents.
Déjà, les erreurs d’ordonnances comptent pour 60% des réclamations auprès du Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de l’Ordre.
Imposer des limites
Et si les pharmaciens et les grandes bannières peinent à s’imposer des limites, Francis Richard croit que l’Ordre, qui les régit, pourrait décréter des pauses obligatoires ou un volume de prescriptions à l’heure plus restreint pour accroître la vigilance.
«C’est un enjeu qui est préoccupant pour les aînés, qui sont les plus grands consommateurs de médicaments», ajoute Pierre Lynch, président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées.
Cependant, le Québec ne recense aucune statistique de ces erreurs en pharmacie communautaire, comme le font d’autres provinces.
Voici des exemples d’erreurs commises en pharmacie pour lesquelles les professionnels ont été condamnés, dans les derniers mois, à des amendes d’environ 4000 $ à 9000 $ par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec. L'identité des patients est protégée dans les jugements disciplinaires.
Une allergie ignorée
Une femme qui devait commencer un traitement de chimiothérapie pour un cancer du sein a fait un choc anaphylactique en s’injectant le médicament reçu de sa pharmacie à Montréal.
Son médecin avait prescrit le médicament Lapelga, mais l’ordonnance avait été transmise par erreur à une autre pharmacie que celle de la patiente.
À l’époque, les lots de ce médicament contenaient «du latex de caoutchouc naturel dans le capuchon de l’aiguille préremplie». Cette allergie était notée au dossier de la patiente et elle a été détectée par le logiciel d’interaction de la première succursale.
Le pharmacien inscrit une note et tente, sans succès, de joindre la patiente. Cependant, l’ordonnance a ensuite été transférée à sa pharmacie.
À cet endroit, le pharmacien Quoc Nguyen «présume que le pharmacien de la première succursale a validé l'allergie avec la patiente, ce qui n’avait pas pu être effectué. Il ne prodigue aucun conseil à la patiente».
Une heure après l’injection du médicament, la femme se rend à l’urgence «pour anaphylaxie accompagnée de difficulté respiratoire, enflure des lèvres, prurit, sensation d'enflure à la gorge, nausée et douleur abdominale».
Contre la glycémie, pas la dépression
Une patiente qui pensait récupérer un médicament antidépresseur a quitté une pharmacie de Dollard-des-Ormeaux avec des pilules pour réduire la glycémie.
Après sept jours, elle a contacté sa pharmacie, parce qu’elle éprouvait des «symptômes physiques et mentaux allant même jusqu’à des idées suicidaires et s’infliger des blessures».
Antibiotique périmé
Au même endroit, la pharmacienne Ngoc Quy Diep, a aussi remis par erreur un antibiotique périmé à une patiente, l’an dernier.
Après environ trois jours, la patiente «indique avoir été incommodée par la prise de l’antibiotique expiré, ressentant des douleurs abdominales importantes ainsi que des diarrhées accompagnées de sang».
Surdose d'opiacé à 17 mois
Un bébé de 17 mois qui se remettait d’une chirurgie a fait une surdose d’opiacé, à la suite d’une erreur du pharmacien Pierre Gervais, à Magog. Il avait remis à la famille un médicament de 5 à 10 fois plus puissant que celui prescrit.
Le bébé, qui a dû être hospitalisé une nuit, était devenu amorphe, en plus d’avoir des vomissements et des tremblements, relate le jugement du Conseil de discipline.
C’est l’assistante technique du pharmacien qui a préparé le mauvais médicament, mais le pharmacien n’a pas non plus remarqué l’erreur.
« Problème récurrent »
Malgré des années de sensibilisation, les erreurs de dosage d’un médicament, contre l’arthrite à petites doses et contre le cancer à doses élevées, continuent de se répéter.
« C’est un problème récurrent pour la profession qui doit être abordé », a d’ailleurs déclaré la syndique adjointe Josée Morin, dans un récent dossier disciplinaire.
« Le méthotrexate est médicament cytotoxique, dangereux, et qu’il y a malheureusement trop de situations lors desquelles les pharmaciens font preuve de négligence », peut-on lire dans le jugement.
L’an dernier, la pharmacienne Chantale Dufour a remis des doses quotidiennes, plutôt qu’une fois par semaine, à une patiente de Jonquière. Après quelques jours, « la patiente développe des ulcères dans la bouche et des douleurs importantes qui l’empêcheront de se nourrir pendant trois semaines ».
Traitement interrompu et hospitalisée une semaine
Une femme atteinte d’un cancer qui devait recevoir des traitements à l’hôpital de Drummondville a reçu une dose 10 fois plus élevée forte que prévu, à la suite d’une erreur d’une pharmacienne.
La pharmacienne Andréanne Groleau « malencontreusement mal recopié la concentration et a noté 10 mg/ml de cytarabine au lieu de 100 mg/ml ».
Ensuite, deux pharmaciennes ont injecté des doses 10 fois plus fortes pendant trois jours, sans s’en rendre compte. à la patiente, qui a dû être hospitalisée une semaine et interrompre son traitement.
Les jugements font état de la pénurie de main-d’œuvre et d’un fort achalandage.
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