Chaude lutte entre Bombardier et Boeing pour chasser les sous-marins
Les deux avionneurs veulent fournir leur propre avion chasseur de sous-marin à l'armée canadienne


Anne Caroline Desplanques
OTTAWA – Bombardier aura besoin de plusieurs milliards de dollars et de longues années de travail avant de pouvoir livrer un avion de lutte anti-sous-marin à l’armée canadienne, ce qui risque de l'handicaper dans sa lutte contre Boeing pour un juteux contrat.
L’avionneur québécois propose d’adapter son appareil Global 6500 aux besoins des Forces armées canadiennes qui doivent remplacer leur flotte vieillissante de CP-140 Aurora. En service depuis 1980, ces avions doivent être remisés à compter de 2030.
Le contrat pour les remplacer est évalué à plus de cinq milliards de dollars. C’est «l’opportunité d’une génération», d’après Jean-Christophe Gallagher, de Bombardier Défense, qui est déterminé à ne pas passer à côté.
Mais la compétition est rude. La ministre de la Défense Anita Anand et son collègue le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, ont d’ores et déjà rencontré les dirigeants du géant américain Boeing, qui fabrique un avion de lutte anti-sous-marin depuis 2004, le P-8 Poséidon. Bombardier craint que le contrat soit attribué sans appel d'offres.

La compagnie montréalaise refuse de dire combien d’argent et de temps il faudrait investir avant que le premier équipage de militaires canadiens puisse opérer son avion qu'il n'est possible de voir que virtuellement.
«Ce n’est pas là où on est rendu dans le processus», a répondu M.Gallagher qui profitait mercredi du salon de l’industrie de la Défense à Ottawa, CANSEC, pour demander à nouveau au gouvernement fédéral de lancer un appel d’offres pour permettre à son entreprise de développer une proposition détaillée.
Mais Sean Liedman, directeur chez Boeing Defense, a déjà une proposition clef en main sur la table qu’il a fallu huit milliards de dollars pour mettre au point.
«Le bénéfice pour tous les clients c’est que les coûts de développement ont déjà été payés, explique-t-il. Les clients n’ont plus qu’à acheter les avions. Ils font une économie énorme, non seulement monétaire, mais aussi en termes de risques techniques et en temps.»
Neuf ans de recherche et développement
Les Américains ont consacré neuf ans à la recherche et au développement avant que le premier P-8 soit pleinement opérationnel.
Les Suédois de Saab ont pour leur part pris cinq ans pour intégrer leurs systèmes de surveillance au Global 6500 afin de créer l’appareil de surveillance GlobalEye déjà en service aux Émirats Arabes Unis et bientôt en patrouille dans le ciel scandinave. Cet avion est cependant fort différent d'un chasseur de sous-marin. Il n'est par exemple pas armé et ne peut donc pas lancer de torpilles contre un sous-marin, contrairement au Poseidon.

Essentielle en situation de combat, la charge additionnelle de l’armement modifiera considérablement l’aérodynamisme de l’appareil et constituera un défi d’ingénierie énorme.
Dans ce contexte, «j’ai du mal à croire qu’un programme de développement pour un nouvel avion puisse donner des résultats d’ici 2030 pour remplacer les Aurora», souligne M.Liedman.
Investissement national
«On sait exactement ce qu’il faut faire pour développer cet avion», a répliqué M.Ghallager qui assure avoir la capacité de livrer dans les temps et en respectant le budget imposé.
Pour donner du poids à sa proposition, l’avionneur québécois s’est allié à General Dynamic Mission Systems-Canada. L’entreprise produit les systèmes anti-sous-marins embarqués à bord des Aurora depuis 2002 et a d’ores et déjà bénéficié d’un milliard de dollars d’investissements publics canadiens.
Choisir le Global 6500 au lieu du P-8 Poséidon, permettrait de «tirer parti des milliards de dollars déjà investis par le Canada», soulignent les deux alliés qui estiment pouvoir créer l’avion qui remplacera le P-8 sur le marché international quand Boeing cessera de le produire dans la prochaine décennie.