Chasser l'ennui par le sexe: on a regardé «Deux femmes en or» de 1970


Anne-Sophie Poiré
Des rires et des seins: c’est essentiellement ce qu’on retient de la comédie «olé olé» Deux femmes en or, parue il y a 55 ans. Avant de voir la relecture du film mettant en vedette Laurence Leboeuf et Karine Gonthier-Hyndman, on a cru bon de visionner l’original pour comprendre pourquoi il est devenu une œuvre culte du répertoire québécois.
La sortie du film en 1970 a fait l’effet d’une bombe: en raison des scènes de nudité, certainement, mais aussi, peut-être, à cause du caractère rebelle et féministe de l’œuvre qui raconte l’émancipation sexuelle de deux femmes de banlieue mariées.
Les deux voisines de la rue Malo, à Brossard, s’ennuient.

Fernande (Monique Mercure) s’adonne à la lecture d’écrits «féminins» et fume clope sur clope dans sa belle maison bien décorée pour échapper à la platitude de son mari, qui préfère s’enfermer dans le sous-sol pour s’occuper de ses plantes.
Pendant ce temps, Violette (Louise Turcot) aime se faire belle et tenir la maison ultra propre dans l’attente de son mari absent, vendeur de vêtements pour femmes toujours parti sur la route. Il préfère passer du temps avec sa jeune maîtresse que l’on appelle «Miss cinéma».
«C’est donc plate le mercredi! Le laitier passe pas», se lamente Violette à Fernande au début du film.
Un après-midi, alors que leurs maris assistent à la finale de la coupe Grey, à Montréal, les amies élaborent un plan, inspiré d’une lecture sur les femmes de banlieue qui doivent exploiter leur propre individualité en misant sur leur don.
Elles coucheront «avec n’importe qui», quand bon leur semblera.

«Le sexe, ma cocotte, c’est un don», lance Fernande à Violette, un peu plus perplexe que la première à l’idée de pouvoir devenir une croqueuse d’hommes.
Dès que M. Lait — «le plus beau» selon Fernande — passe la porte de la maison de Violette Lamoureux, toutefois, la belle blonde au visage d’ange est convaincue: le sexe est une excellente façon de se désennuyer.

Le sexe à domicile
Le déneigeur, le laveur de tapis, les livreurs de piano à queue, le marchand d’oiseaux: les amants des deux voisines défilent dans leur maison à toute heure du jour, mais pas de la nuit. La libération sexuelle s’exerce ici entre 9h et 17h.
Pendant que les hommes travaillent, les femmes comprennent que beaucoup de métiers se pratiquent à domicile. Elles en profitent pour inviter le réparateur de lampadaire à prendre un verre d’eau ou se commander des mets chinois pour se taper à deux le jeune livreur.
Deux femmes en or, c’est d’abord une comédie. Ça crie et ça rit fort. Le scénario, décousu, est quasi incompréhensible et tous les personnages semblent sous l’influence du LSD.
Les répliques sont toutefois savoureuses.
«Mon Princess, il fait zouign zouign», signale Fernande au réparateur de Bell Canada interprété par Yvon Deschamps. Le Princess était un téléphone compact précisément conçu à l’époque pour une utilisation dans la chambre à coucher.

Elle est étendue sur son lit, elle défait et refait la fermeture éclair de sa combinaison jaune poussin et tente tant bien que mal de séduire celui qui ne capte aucun signal.
«C’est tu nono les femmes», dit-il, même, après avoir raté une bonne blague de la Brossardoise.
Le réalisateur Claude Fournier avait fait appel à plusieurs comédiens célèbres pour jouer les amants des deux voisines. Le syndicaliste Michel Chartrand incarne le juge qui conclura à la fin du long-métrage que Violette et Fernande sont bel et bien «deux femmes en or».

Un succès commercial
En regardant Deux femmes en or, on sent le «male gaze», le regard masculin porté sur le corps des femmes.
Il y a tout de même quelque chose d’infiniment avant-gardiste et féministe dans la manière dont Violette et Fernande envisagent leur sexualité. Il faut dire que le film a été co-écrit avec la scénariste Marie-José Raymond.
Dans la comédie érotique, «les hommes sont jetables, à usage unique».
Je cite ici une réplique de la série Sex And The City, sortie 28 ans plus tard, dans laquelle quatre femmes dans la trentaine s’adonnent à une sexualité abondante et décomplexée.
Deux femmes en or s’inscrit dans la vague des films à caractère érotique de la fin des années 1960 et du début des années 1970, comme Valérie (1968), L’initiation (1970) ou encore L’amour humain (1970).

Quand il est présenté pour la première fois le 21 mai 1970 au théâtre Saint-Denis, les critiques sont unanimes: le film est mauvais, mais il fait rire.
Il n'en reste pas moins qu'il demeure, encore à ce jour, l’un des plus grands succès commerciaux du cinéma québécois. À sa sortie, il a attiré deux millions de spectateurs.