La mort de jeunes soldats canadiens en Afghanistan a motivé Charlotte Gingras à écrire son roman «Guerres», réédité cette année


Marie-France Bornais
À 80 ans, l’écrivaine multiprimée Charlotte Gingras, autrice de nombreux romans jeunesse très remarqués, raconte les effets collatéraux des conflits armés sur les familles dans son roman Guerres. Ce roman jeunesse percutant, lauréat de nombreux prix, est réédité cette année par le Groupe d’Édition la courte échelle. Il parle du quotidien de ceux et celles restés au pays lorsqu’un proche est parti en mission et de l’effet domino qui se crée dans les familles.

Dans le roman Guerres, Nathan, militaire de carrière et père de trois enfants, est envoyé en mission en Afghanistan. Les membres de sa famille tentent de vivre son absence au quotidien, chacun à sa manière.
La mère, Karine, et ses trois enfants vacillent, des colères remontent à la surface, les rôles deviennent plus flous, et une anxiété s’installe. Même à distance, la guerre s’infiltre dans leur quotidien.
Toujours d’actualité
Charlotte Gingras, en entrevue, donne ses commentaires sur ce roman publié en 2011 et réédité cette année. «Le livre que j’ai écrit, c’est très malheureusement tout à fait requis à ce moment-ci», dit-elle.
«J’ai écrit Guerres pendant la guerre en Afghanistan. Je me rappelle très bien qu’aux nouvelles de 18h, toutes les semaines, on avait un rapport d’un soldat canadien qui était décédé.»
«Il y avait un commandant avec des médailles accrochées après lui qui disait un petit discours: “Comme il était jeune, il voulait changer le monde, il était plein d’énergie, quel dommage, quel malheur...” Et ça recommençait pareil, toutes les semaines, pendant un certain temps.»
«J’étais en sacrament!»
Charlotte avait fortement réagi. «C’était toujours de jeunes gars de 20 ans qui étaient tués. On rapatriait les cercueils. On montrait à la télé les parents éplorés qui voyaient les cercueils qui revenaient. Et ça m’a mise en colère. Et c’est comme ça que j’ai commencé à écrire Guerres. J’étais en sacrament!»
«Je me disais: comment ça se fait? ajoute-t-elle. Je pensais à leur mère, à leur sœur, à leur femme, à leur blonde. J’étais très déboussolée. Je n’ai pas écrit tout de suite. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai fait des recherches sur l’armée.»
Beaucoup d’entrevues avant d’écrire
Charlotte Gingras s’est très bien documentée. «J’ai interviewé des femmes de militaires. J’ai interviewé une maman de militaire. Je ne connaissais rien à l’armée. Je ne connaissais rien à la culture de l’armée. Bref, c’est le livre qui m’a probablement demandé le plus de recherches dans ce que j’ai écrit pour la jeunesse.»
Elle ajoute que c’est la colère qui l’a portée, au début. «J’ai décidé d’écrire l’histoire très organiquement. J’ai décidé qu’il y aurait deux narrateurs, un garçon et une adolescente. Et en écrivant, je me suis aussi aperçue que je ne voulais pas écrire directement sur ce qui se passait en Afghanistan. Comment parler de la guerre si je ne peux pas m’approcher du lieu?»
Dommages collatéraux
Elle a donc pensé aux effets collatéraux. Et elle a vécu de grandes émotions en écrivant. «La guerre, ça continuait. Et ça continuait, les cercueils. C’était un moment étrange de ma vie, où je me suis plus préoccupée des effets de la guerre que normalement j’aurais dû le faire. Ça a été une aventure très particulière d’écrire Guerres. Et oui, j’étais triste.»
«Tous les personnages masculins du livre, sauf Luka, qui est peut-être un prénom proche de la Yougoslavie ou des Balkans, portent des prénoms de soldats canadiens qui sont morts en Afghanistan.»
Guerres (nouvelle édition)
Charlotte Gingras
Groupe d’Édition la courte échelle
162 pages
- Charlotte Gingras a publié plusieurs romans pour les jeunes à La courte échelle.
- Elle a signé La boîte à bonheur, gagnant du Prix du livre M. Christie, et Ophélie, qui a remporté le Prix du livre jeunesse des Bibliothèques de Montréal.
- Ses romans La liberté? Connais pas... et Un été de jade lui ont tous deux permis de recevoir le prestigieux Prix littéraire du Gouverneur général du Canada et ont été traduits en plusieurs langues.
- Guerres est lauréat du prix Alvine-Bélisle 2012 et finaliste au Prix du livre jeunesse des Bibliothèques de Montréal et au Prix des libraires jeunesse du Québec.
«Encore une fois, nous étions là, tous les quatre, à fixer les pixels de la télé quand la nouvelle est tombée. Le lecteur de nouvelles avait la voix grave et triste.
Un véhicule de ton régiment avait sauté sur la route poussiéreuse entre KAF et un poste avancé. Un convoi de ravitaillement. Le blindé de tête. Une bombe artisanale. Les hommes enfermés dans le blindé étaient tous morts, leurs corps brûlés, leurs casques intacts.»
–Charlotte Gingras, Guerres, Groupe d’Édition la courte échelle
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