«Chaos» dans nos villages nordiques: des criminels auraient empoché des millions grâce à l’alcool de contrebande
Un représentant de la communauté inuite a livré un témoignage bouleversant


Laurent Lavoie
Des criminels auraient empoché des millions de dollars et semé le «chaos» dans des communautés autochtones vulnérables du Grand Nord québécois en y vendant de l’alcool de contrebande pendant des années.
«Le dommage causé par ces offenses n’est pas vague ou débattable. [...] Il vit dans nos maisons, écoles, cliniques de santé et centres communautaires», a dénoncé Jean Dupuis, directeur de Makivvik, un organisme encourageant notamment l’économie et la préservation de la culture inuite.
Il a récemment livré un témoignage percutant au palais de justice de Montréal en marge des procédures judiciaires contre Willy Castro-Cisneros et Daniel Alexander Franco-Murillo.

Les deux hommes ont plaidé coupables à diverses accusations de fraude envers le gouvernement et de trafic de substances.
Ils ont contribué à une organisation criminelle qui jonglait avec de la cocaïne, du cannabis et de l’alcool acheté dans des succursales de la SAQ de la région de Montréal.

Les envois de drogues et d’alcool parcouraient des centaines de kilomètres vers le Nunavik, qui compte 14 villages sur son territoire, par avion-cargo et par l’entremise de Postes Canada.
Entre 2016 et 2020, le réseau aurait acheté 43 000 bouteilles et les aurait revendues pour plus de 8M$, avait rapporté la Sûreté du Québec (SQ) dans un communiqué.
Notons que des réglementations municipales limitent l’accès à l’alcool dans ce secteur de la province pour lutter contre les cas de consommation excessive.

Réglé au quart de tour
Willy Castro-Cisneros était une des têtes dirigeantes du réseau. Il indiquait à son «homme de main», Daniel Alexander Franco-Murillo, les quantités de boisson à se procurer et les détails pour expédier la marchandise.
«Les accusés partageaient un local, appelé “the spot”, avec d’autres personnes. Ce local servait à emballer les colis pour ensuite les envoyer dans le Grand Nord», a-t-il été admis à la cour.

Les revendeurs qui écoulaient le stock sur place étaient généralement recrutés par Castro-Cisneros et d’autres complices. Les profits étaient ensuite partagés.
Depuis plusieurs générations, les villages voient débarquer ce genre de visiteurs, «poisons» en main, prêts à semer le «chaos», a souligné Jean Dupuis.
«Ça a toujours été suivi par une même tendance: quelque chose arrive, s’étend, érode, affaiblit. Et ceux qui l’ont amené disparaissent avec l’argent pendant que les Inuits en paient le prix», a-t-il décrit.

Une fortune
Une fortune est à la portée des criminels voulant sévir dans cette région du Québec (voir encadré). Par exemple, une bouteille de vodka Smirnoff pouvait valoir, en 2020, 12,75$ à Montréal et 100$ au Nunavik.

À eux seuls, Willy Castro-Cisneros et Daniel Alexander Murillo se sont procuré, entre 2018 et 2020, 8741 bouteilles d’alcool pour plus de 196 000$. La valeur de revente se situerait entre 1,7M$ et près de 2,1M$, indique un document judiciaire.
«Le design [du réseau] était intentionnel: exploiter notre isolation et nos manques pour drainer nos ressources, déstabiliser nos familles», a asséné Jean Dupuis.

En marge du projet d’enquête baptisé «Plutonium», la SQ et la police du Nunavik ont finalement réalisé près d’une dizaine d’arrestations en février 2022.
Les plaidoiries sur la peine à imposer à Willy Castro-Cisneros, 35 ans, et à Daniel Alexander Franco-Murillo, 29 ans, sont prévues à la fin d’octobre.
Comparaison du prix de l’alcool et de la drogue entre Montréal et le Nunavik*
- Marijuana (par gramme): 10$ – 40$
- Hachich (par gramme): 15$ – 40$
- Cocaïne (par gramme): 50$ – 250$
- Vodka Smirnoff (375ml): 12,75$ – 100$
- Vodka Smirnoff (750ml): 21,95$ – 250$
- Vodka Smirnoff (1,14L): 33,75$ – 400$
- Vodka Smirnoff (1,75L): 49,75$ – 600$
- Alcool 94% (375ml): 23,40$ – 200$
Source: document déposé en cour
*1er janvier au 31 décembre 2020
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