Chaleurs (extraits de mon journal)


Jacques Lanctôt
«Sous le soleil exactement / Pas à côté, pas n’importe où / Sous le soleil, sous le soleil / Exactement juste en dessous. [...] C’est sûrement un rêve érotique / Que je me fais les yeux ouverts.» (Serge Gainsbourg)
La Havane, ces jours-ci, et sans doute tout Cuba vivent sous un soleil ardent. Sur toutes les lèvres des personnes croisées ici et là: «Aie! Que calor!», en guise de bonjour. Je suis bien le seul à ne pas me plaindre. Lors d’un récent et bref séjour de quinze jours à Montréal, je n’ai connu que deux jours de canicule. Le reste du temps, il faisait froid ou frisquet et le temps était morose. J’avais hâte de revenir au pays du soleil.
Ici, le soleil illumine nos jours du matin au soir et s’il y a un ennuagement, suivi d’un orage ou d’une averse, ce n’est que de courte durée et le soleil assèche rapidement les surfaces trempées.
Je vis avec le bruit du ventilateur, qui m’est devenu familier. Lorsque survient la panne d’électricité programmée, c’est la première chose que je remarque. Le bruit se fait silence et, bien sûr, le déplacement d’air qui rafraîchissait la pièce fait rapidement place à la chaleur accablante. Mais contrairement aux Cubains, jamais je ne me plains. J’aime que mon corps sue, rejette ses toxines, parce que la douche sera d’autant plus appréciée dans quelques heures.
Cette chaleur extrême influe nécessairement sur la sensualité des gens. Dans la rue, la peau est à l’honneur; jupes et shorts courts, leggings ajustés qui laissent voir toutes les formes du corps, nombril, épaules et dos à l’air. La démarche nonchalante des femmes est un spectacle en soi. Il faut situer cette présence féminine dans l’ordre de la beauté et de la splendeur du monde et je pense qu’elles en sont bien conscientes. Les Cubaines pratiquent un art de la séduction bien à elles. Elles sont toutes tombées, à la manière d’Obélix, dans la potion magique de la salsa, du déhanchement, et cette potion magique au secret bien gardé fait qu’elles savent bouger la ceinture de manière unique, avec grâce, de façon harmonieuse et souveraine. Un pur ravissement qui n’a rien à voir avec le sous-développement. La mer et la plage leur vont comme un gant.
Il faut découvrir la beauté sous les apparences, a déjà dit un prophète. Nos yeux sont trop souvent paresseux et ne vont pas plus loin que les apparences. Pourtant, cela fait partie de la communication humaine, cette petite histoire qui se mêle à la grande, en lui donnant une dimension agréable de tendresse, d’humanité. Le dogme de la peau exige le respect pour ceux qui s’y adonnent, c’est une émotion à fleur de peau qu’il faut cueillir dans l’instant même où elle se présente, sinon elle risque de flétrir. Première leçon: il faut aimer avec son cœur, mais aussi avec son intelligence.
Je suis sans doute le produit des deux hommes qui se bagarrent en moi. L’un, libertin, jouisseur, dépensier, orgueilleux et colérique. L’autre, romantique, tendre, généreux, attentionné, tolérant et solidaire. Cuba est une sorte de révélateur, où je découvre qui de ces deux êtres l’emportera dans ce grand écart douloureux.
Et l’omniprésence de la musique dans la rue, dans les maisons aux fenêtres grandes ouvertes, contribue à l’enchantement, les muezzines à moto battant le rappel au passage. Ces chansons se transforment en vers d’oreille que jeunes et moins jeunes fredonnent comme s’ils en avaient écrit les paroles. Il est question d’amours difficiles, de tromperies, de passions, de promesses d’aimer pour la vie et de sexe, bien entendu.
«Ô, temps, suspends ton vol! / Et vous, heures propices / Suspendez votre cours / Laissez-nous savourer / Les rapides délices / Des plus beaux de nos jours.» (Lamartine)