C’est qui le premier ministre du Canada ?

Emmanuelle Latraverse
Fini les amitiés douteuses avec des dictatures. Il faut accélérer l’approbation des grands projets énergétiques, particulièrement le gaz naturel liquéfié, pour venir en aide à nos alliés européens qui craignent de ne pas pouvoir se chauffer cet hiver.
Le confort de l’après-guerre froide est terminé, la guerre en Ukraine et les ambitions hégémoniques de la Chine exigent un nouvel ordre mondial.
Surtout, les démocraties occidentales devront être prêtes à dépenser du capital politique pour faire passer la pilule auprès de leur électorat.
Le monde a changé. Il est temps de s’ajuster. C’est le message limpide qu’a livré la vice-première ministre Chrystia Freeland lors d’un discours fort remarqué à Washington, plus tôt cette semaine.
Celui-ci visait-il à préparer le terrain à une future carrière sur la scène internationale (rappelez-vous ces épisodes concernant l’OTAN), ou l’objectif était-il de bousculer ses collègues au Conseil des ministres ? Le débat est ouvert.
Toujours est-il que Chrystia Freeland semble avoir redéfini la politique étrangère et énergétique du Canada.
« Depuis 1989, nous avons encaissé les dividendes de la paix, aujourd’hui il est temps de contracter une assurance contre la guerre. »
Pourquoi ?
Depuis le fameux « le Canada est de retour » de Justin Trudeau au lendemain de sa victoire, son gouvernement ne s’est pas particulièrement démarqué par son leadership sur la scène internationale.
D’où la surprise face au discours de Chrystia Freeland.
Pour une fois que le Canada avait quelque chose à dire qui sortait des sentiers battus, pourquoi elle ?
Un discours d’une telle importance n’aurait-il pas dû être prononcé par le premier ministre ? Ou au moins la ministre en titre des Affaires étrangères ?
Mais non, Justin Trudeau distribuait des subventions pour les énergies vertes. Mélanie Joly brassait des affaires en Asie.
Est-ce donc le Canada qui réclame ce nouvel ordre mondial, ou Chrystia Freeland ? Le dilemme est entier. Tous auront remarqué qu’elle a parlé de l’audace de « son » plan, et non de celui du Canada.
Débats houleux
Le changement de paradigme que propose Chrystia Freeland bouscule surtout plusieurs idées reçues et exigera de sérieux coups de barre.
Certes, les conservateurs se réjouissent de voir le Canada ouvrir la porte à des projets miniers et gaziers. D’ailleurs, GNL Québec y trouvera-t-il les leviers nécessaires pour relancer le projet ?
Mais on demeure à 1000 lieues de la philosophie mise de l’avant par ce gouvernement jusqu’ici.
Difficile d’imaginer que Steven Guilbeault était heureux d’entendre se faire imposer cette nouvelle politique énergétique. Combien de couleuvres sera-t-il prêt à avaler pour demeurer autour de la table des ministres ?
On a également hâte d’entendre Mélanie Joly expliquer quels compromis l’électorat devra accepter en appui à nos alliés.
Et que dire du niveau déplorable de nos dépenses militaires dont le Canada se contente depuis tant d’années ?
La leçon de realpolitik de la vice-première ministre confronte finalement le gouvernement Trudeau aux limites de sa politique de la vertu. L’actuel premier ministre est-il prêt à la suivre ?