«C’est incontrôlable»: deux personnes sur cinq dans les banques alimentaires de Montréal sont de nouveaux immigrants

Axel Tardieu
Les nouveaux arrivants sont de plus en plus nombreux à fréquenter les banques alimentaires au Québec. La situation est particulièrement alarmante à Montréal, où près d’un adulte sur deux qui se rend dans les banques alimentaires est un immigrant.
«Je viens ici depuis un mois avec ma tante qui m’héberge, ça nous aide beaucoup», confie Adriano. Ce réfugié cubain a attendu des heures avant de pouvoir rentrer dans le local de l’organisme Racine Croisée.
Pour 7$, il obtient un panier alimentaire d’une valeur de 65$. Arrivé au Québec il y a tout juste deux mois, il vient chaque semaine récupérer de la nourriture et il n’est pas le seul.

«Certains ont attendu cinq heures pour être au début de cette file d’attente», explique Franklin Tan, chargé des communications pour Racine Croisée, qui a observé une hausse sans précédent du nombre de nouveaux arrivants cherchant à se nourrir.
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Une situation incontrôlable
«Depuis la COVID, on est passé de 80 paniers par semaine à 600», avoue Agnès Mbome Moume, directrice et fondatrice de Racine Croisée. «Si on veut dire les vrais mots: on n’a plus de contrôle», dit-elle.
Le fait que les salaires soient trop bas par rapport au coût de la vie rend la situation incontrôlable, selon Agnès Mbome Moume.
«Avec l’inflation, tout est cher, rappelle-t-elle. Imaginez-vous: un couple qui travaille au salaire minimum n’arrive même plus à la fin du mois.»
Martin Munger, directeur général des banques alimentaires du Québec, ajoute: «Les usagers nous disent que c’est beaucoup lié à la crise du logement, aux loyers trop élevés.»
19,3 millions de kilogrammes
Les nouveaux arrivants sont de plus en plus nombreux dans les banques alimentaires, confirme Martin Munger. Ils représentent cette année 31% des demandeurs adultes au Québec et 41% à Montréal, selon Moisson Montréal.
L’organisme n’a jamais autant donné de nourriture: 19,3 millions de kilogrammes l’an dernier. Un record qui devrait être battu en 2025, regrette Chantal Vézina, la directrice générale.

À la demande des banques alimentaires qu’il fournit, Moisson Montréal adapte même son offre en fonction des goûts des nouveaux arrivants.
«Ils consomment plutôt des légumineuses sèches, qu’ils cuisinent eux-mêmes, plutôt qu’en conserve», explique Chantal Vézina.
L’emploi, le grand défi
Le marché du travail à Montréal ne réussit pas à soutenir la croissance du nombre de nouveaux arrivants, compte tenu du fait que près de 60% d’entre eux s’établissent dans la métropole, souligne Florence Jean-Jacobs, économiste au Mouvement Desjardins.
«On a encore un rythme de croissance de la population qui est beaucoup alimenté par des immigrants, mais la croissance de l’emploi ne suit pas», explique-t-elle.
«Ça peut aussi s’expliquer par une persistance d’une certaine discrimination à l’emploi» rajoute Guillaume Tremblay-Boily, chercheur à l’IRIS. Les nouveaux arrivants «ont souvent tendance à avoir des emplois moins bien payés et plus précaires».

Mikailu Adbullahi, originaire du Nigéria, vit avec ce défi. Après un an au Canada, il est toujours sans emploi. «J’ai postulé à des offres, mais je ne trouve rien à cause de mon niveau en français», dit-il.
En attendant, il suit des cours de langue et fait du bénévolat chez Moisson Montréal. Malgré tout, «je ne suis pas déçu d’être ici» assure Mikailu Adbullahi.
Réaction du gouvernement
«L’arrivée massive des demandeurs d’asile et la hausse de l’immigration temporaire mettent une pression insoutenable sur nos services publics, dont les banques alimentaires», réagit Chantal Rouleau, ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire.
Elle rappelle qu’entre 2024 et 2029, 140 millions $ vont être investis pour «tendre vers une sécurité alimentaire durable au Québec».