Ces femmes contrôlées par l’Église


Marie-France Bornais
Écrivaine de talent, très appréciée de son lectorat, Claire Bergeron s’est intéressée à la place que l’Église a réservée aux femmes dans son nouveau roman, Dans l’ombre de la Sainte Mafia. Elle rappelle, à travers des personnages fictifs et une histoire sortie de son imagination, mais basée sur des faits réels, que la population québécoise a longtemps été soumise au joug de l’Église catholique.
Dans ce roman qui débute en Abitibi-Témiscamingue pendant la Seconde Guerre mondiale, Claire Bergeron dépeint une époque où l’Église, une grande institution intouchable, appliquait la loi du silence, dissimulait les crimes et muselait les victimes.
En 1942, sœur Anne-Marie-de-Jésus, personnage fictif, se retrouve au cœur d’un drame qui pourrait faire du tort au clergé. Elle craint qu’on veuille la faire taire à jamais. Un homme doté d’un profond sens moral, maître Eugène Duvernois, de même qu’un jeune avocat, maître Laurent Dumas, volent à son secours et remettent en question l’autorité cléricale.
« Ça fait quelques années que j’avais le titre dans ma tête », dit Claire Bergeron, en entrevue. « J’avais entendu un reportage et l’animateur parlait de l’Église catholique. Il l’avait appelée la Sainte Mafia. J’avais accroché là-dessus. Finalement, l’an passé, j’ai décidé de foncer. Et j’ai commencé à fouiller. »
Au temps des sermons
Elle cherchait un angle original à travailler. « Je suis tombée sur les reportages au sujet des religieuses abusées. On n’en entend pas parler beaucoup, mais il y en a eu énormément. Il y a eu des religieuses enceintes, qui ont été chassées de leur couvent. D’autres qui se sont suicidées. Il me restait à développer une intrigue – c’est toujours passionnant de développer une intrigue, avec des émotions, un suspense, des personnages. »
La romancière de 75 ans, qui signe cette année son 11e roman, explique avoir grandi à l’époque où l’Église avait un grand pouvoir sur la population du Québec.
« Si tu manquais ta messe, si tu ne payais pas ta dîme, c’était incroyable à quel point c’était strict. Les femmes ne devaient pas empêcher la famille. Moi, j’étais là quand l’Église catholique est tombée de son piédestal, à la fin des années 70. C’était au moment où les femmes ont eu la pilule. Je n’ai pas vécu la vie pour laquelle j’avais été éduquée, finalement. »
« Il y a eu une grande libération de la femme. Aujourd’hui, je trouve que la place de la femme est encore fragile, mais il y a eu un grand chemin de fait. J’y ai participé. Dans le roman, je parle du sermon du père Magloire L’Étoile qui dit que les femmes sont les gardiennes de la chasteté. C’est un sermon que j’ai entendu quand j’étais jeune. Vraiment. »
« Les pauvres hommes étaient fragiles à chuter... Il ne fallait pas leur montrer un petit bout de chair. Les femmes étaient responsables de leur vertu. Aujourd’hui, ça nous paraît ridicule, mais ça a vraiment existé. L’enfer, à l’époque, c’était sérieux. »
L’Ukraine
Claire Bergeron, par ailleurs, est très attristée par la guerre en Ukraine, elle qui a écrit Les amants maudits de Spirit Lake, une histoire se déroulant dans le camp de détention des Ukrainiens qui se trouvait près d’Amos, en Abitibi-Témiscamingue.
« Ce roman vient d’être traduit en ukrainien et je devais être invitée à Kyïv pour le lancement. Mais je te dis que je pense que c’est à l’eau, hein ! » s’exclame-t-elle, navrée.
Elle avait fait beaucoup de recherches pour ce roman et elle s’est fait beaucoup d’amis ukrainiens, dont son traducteur, qui habite à Montréal, et son éditrice ukrainienne.
« Ça me touche plus que beaucoup de personnes parce que j’ai plusieurs connaissances ukrainiennes. Plusieurs personnes de cette communauté étaient venues me voir aussi au Salon du livre de Montréal. Ça me fait de la peine. C’est terrible ce qui se produit actuellement. »
- Claire Bergeron a touché les lecteurs de plusieurs continents avec ses romans, notamment Sous le manteau du silence et Les amants maudits de Spirit Lake.
- Son site web : clairebergeron.com
EXTRAIT

« Il était convaincu que l’Église tenterait une nouvelle fois de dissimuler la corruption de l’un des siens sous sa lourde chape de plomb. L’honorabilité mondiale de cette... cette... comment pouvait-il qualifier l’Église et son clergé dans le contexte de pareils agissements ? D’organisation savamment orchestrée, pourvue d’inestimables ressources, qui, grâce à son influence sur une grande couche de la société, pouvait monnayer son pouvoir avec la classe politique. Une association qui pouvait se permettre d’agir en toute impunité, régler ses problèmes à l’interne, protégée par la loi du silence, sans risque d’être inquiétée par la justice... Eugène eut l’impression qu’il décrivait la mafia. La Sainte Mafia, ironisa-t-il, mentalement, ce qui fit naître un sourire sur ses lèvres. »