Certaines sources du conflit de travail catastrophique à Air Canada


Antoine Robitaille
Au-delà des graves inconvénients qu'elle suscite pour les passagers, la grève des agents de bord d'Air Canada est une autre preuve qu'il y a quelque chose de cassé, au Dominion, dans les relations de travail du secteur des transports.
Ça n'a jamais été si clair. Une fois la grève déclenchée samedi, Air Canada a répliqué en décrétant un lock-out. La ministre fédérale Patty Hadju est prestement intervenue, en invoquant le fameux article 107 du Code canadien du travail.
Celui-ci lui permet de suspendre le conflit et de forcer un arbitrage exécutoire après avoir déféré l'affaire au Conseil canadien des relations industrielles.
La fin des lois spéciales
La méthode a été efficace en 2024 dans les secteurs ferroviaire, portuaire et aérien.
Jadis, il arrivait que nos gouvernements adoptent des lois spéciales forçant le retour au travail. Depuis une série de décisions des tribunaux, dont «Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan» en 2015, la plupart de ces lois d'exception sont déclarées inconstitutionnelles. Les gouvernements ne s'y risquent presque plus.
Lorsqu'ils cherchent à mettre fin à une grève gênante, l'article 107 devient bien commode. Trop peut-être.
Mais il y a du nouveau cette fois: les syndiqués d'Air Canada, qui en ont marre de ne pas être payés pour certaines heures travaillées, ont refusé d'obtempérer. Ils s'exposent à court terme à de lourdes pénalités, voire à des peines d'emprisonnement. Car cela revient à violer une ordonnance de la cour.
La fin de 107?
Les syndicats ont bon espoir que les tribunaux, à moyen terme, en se fondant sur les principes adoptés par la jurisprudence, leur donneront raison et déclareront 107 inconstitutionnel.
Ils n'ont par tort de parier sur ce dénouement. En 2015, lorsque le droit de grève a été sacralisé, des juges dissidents (dont R. Wagner, devenu juge en chef) avaient prévenu que cela déséquilibrerait durablement les relations de travail. La multiplication des conflits semble leur donner raison, au moins en partie.
Comme la multiplication du recours à l'article 107 par Ottawa. À Québec, la loi 89 du ministre Jean Boulet adoptée en juin (en vigueur en novembre), rendra l'intervention du gouvernement plus facile. Son titre est évocateur: «Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out.» Les moyens que Québec se donne sont (en apparence) soumis à une sorte d'étapisme. Mais sera-ce assez pour satisfaire les juges qui se pencheront sur 89?
Il reste que, dans la situation actuelle, les patrons sont tentés de faire traîner les négociations, en attendant que le gouvernement intervienne. Les travailleurs, eux, optent plus rapidement pour la grève, espérant «que le gouvernement pourra les sauver d’eux-mêmes», (selon les mots d'un expert, Craig Munroe).
Les moyens que sont la «grève» et le lock-out n'étaient-ils pas mieux utilisés jadis, lorsque les relations de travail ne relevaient pas de la logique (absolue) des «droits fondamentaux»? Une loi spéciale, au moins, est adoptée démocratiquement par un parlement! L'article 107, lui, c'est un ministre qui envoie un courriel! Comment réparer ce système déréglé?