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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Censurer des livres: l’hypocrisie

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Photo portrait de Sophie Durocher

Sophie Durocher

2025-09-02T23:00:00Z
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Vous rappelez-vous quand des écoles en Ontario avaient brûlé des livres, comme des Tintin et des Lucky Luke, sous prétexte que ces bouquins contenaient des stéréotypes sur les autochtones? Les livres avaient été brûlés dans des cérémonies de «purification par les flammes», pour favoriser la «réconciliation» avec les premiers peuples. 

En Alberta, cette année, on retire des écoles des livres comme La servante écarlate, parce qu’ils contiennent des passages «sexuellement explicites».

C’est complètement absurde que les jeunes albertains ne puissent pas LIRE La servante écarlate, mais qu’ils puissent VOIR La servante écarlate en allumant leur ordinateur et en visionnant la série qui a été vue par des millions de gens à travers le monde.

Avant de crier au meurtre (ou à la censure), dans ce dossier, il faut quand même apporter quelques nuances et se poser plusieurs questions.

CACHEZ CE SEIN 

On a appris que 200 livres seront retirés des écoles d’Edmonton pour se conformer à un nouveau règlement du ministère de l’Éducation de l’Alberta, qui veut qu’on bannisse tous les «documents à caractère sexuel explicite».

Le problème, c’est que même la première ministre ultraconservatrice Danielle Smith trouve que les conseils scolaires sont allés trop loin en bannissant La servante écarlate! Même elle trouve que ça n’a pas de bon sens de censurer Margaret Atwood!

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Devant les journalistes, Smith a montré un livre qui correspond exactement aux critères de ce qu’elle considère comme inacceptable dans une école. Le livre s’intitule Gender Queer, et est écrit par une personne non binaire: Maia Kobabe. Dans ce livre, Kobabe raconte comment «iel», né dans un corps de fille, a changé son identité de genre. On y voit une fellation, un des personnages dit qu’il va recevoir la meilleure pipe de sa vie, on voit un personnage se rentrer un doigt dans les parties intimes pour savoir ce que ça goûte. Bref, c’est trois X.

J’ai fait une petite recherche, et même Maia Kobabe lui-même/elle-même trouve que son livre n’a pas sa place dans les écoles! Ce n’est pas parce qu’il y a des dessins que c’est une BD. C’est un roman graphique et les dessins sont assez «graphiques». Et ce livre s’adresse clairement à des adultes, à un public averti.

Et je suis sûre que beaucoup de gens qui crient aujourd’hui à la censure auraient eux-mêmes été scandalisés si un enfant du primaire avait mis la main sur un gros plan de quelqu’un qui dévore goulûment un appendice masculin en plastique.

OUPS, LA BOULETTE 

Le problème quand tu commences à vouloir «encadrer» la liberté d’expression, c’est que personne n’a la même définition de ce qui est acceptable ou pas. S’il y a une scène de violence sexuelle dans un livre (comme les servantes écarlates qui se font violer par les gouverneurs dans le livre de Margaret Atwood), on doit se demander si ça glorifie le viol, si ça le banalise ou si ça le dénonce.

Ça demande de la nuance, de la réflexion. Pas des mesures à la hache et des directives floues que personne ne comprend.

Quand tu ouvres la boîte de Pandore de la censure, même si tu as les meilleures intentions du monde, tu te trouves sur une pente glissante. La première ministre de l’Alberta s’en est rendu compte... un peu trop tard.

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