Censurer Brathwaite?


Sophie Durocher
Il y a dix ans paraissait la biographie de Normand Brathwaite, écrite par Isabelle Massé. Mais si je vous parlais aujourd’hui, à la radio, de ce livre, je ne pourrais pas prononcer le titre. Sinon, je risquerais un blâme du CRTC.
La bio de mon ami Normand (un artiste noir), qui a été écrite par Isabelle Massé (une journaliste noire), porte un titre en clin d’œil à un livre de Dany Laferrière (un écrivain noir) : Brathwaite, Comment travailler comme un nègre sans se fatiguer.
LA CHASSE AUX MOTS
Vous rendez-vous compte? Il y a dix ans, Normand et Isabelle trouvaient normal et amusant de faire un clin d’œil au livre de Laferrière en utilisant le mot en “n”». Comme le monde a changé en seulement 3650 jours!
La semaine dernière, le CRTC a ordonné à Radio-Canada de s’excuser pour l’utilisation du «mot en “n”» lors d’une émission de radio au cours de laquelle un chroniqueur a mentionné le livre Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières.
Depuis, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec a condamné ce «dangereux précédent qui impose aux médias une censure aussi exagérée qu’injustifiée».
Et vendredi, dans une lettre ouverte, treize personnalités des médias, dont Bernard Derome et d’ex-ombudsmans de Radio-Canada, ont aussi dénoncé la décision du CRTC.
Une chose en particulier me choque dans la décision du CRTC. C’est quand l’organisme fédéral blâme la société d’État pour ne pas avoir « fait suffisamment preuve de respect et de sensibilité envers les communautés concernées par le terme ». Mais qui juge de ce qui choque «les communautés concernées»?
Isabelle Massé, Normand Brathwaite et Dany Laferrière ne font pas partie de ces «communautés concernées»?
Pour L’Apéro piquant, le balado que je coanime avec Richard Martineau, nous avons reçu Normand Brathwaite à la maison, le 18 mai. Dans cet épisode que vous allez pouvoir entendre dès jeudi de cette semaine sur QUB Radio, Normand nous raconte, au sujet du titre de sa biographie, que, lorsqu’on parle du «mot en “n”», le contexte change tout. Tout dépend de ce que tu mets devant le « mot en “n” ».
J’aimerais recommander aux membres du CRTC d’écouter ce balado. Mais j’ai une question pour eux : comment, en tant qu’intervieweuse, suis-je censée parler à Normand Brathwaite du titre de sa biographie... sans la nommer?
Vous savez ce qui est écrit sur le quatrième de couverture de la biographie de Normand? «Acteur, improvisateur, comédien, humoriste, animateur et musicien, Normand Brathwaite a incontestablement marqué notre histoire télévisuelle et radiophonique. On est bien loin du nègre de service...».
C’est fou comme les choses peuvent changer en dix ans...
- Écoutez l’entrevue d’Alexandre Moranville avec Sophie Durocher sur QUB radio :
UN MILITANT VICTIMAIRE
En terminant, un mot sur l’«artiste» qui est à l’origine de la plainte contre Radio-Canada qui a mené à la décision du CRTC.
C’est un musicien dont j’ai déjà parlé dans ma chronique, car il avait osé poser sérieusement la question «Le Québec aime-t-il seulement les artistes blancs?». Il était aussi l’un des meneurs de la résistance contre la pièce SLĀV.
Bref, un abonné aux Victimes permanentes qui voit du racisme partout.
Mais cette fois-ci, ce militant a mené une bataille qui menace la liberté d’expression de tous les Québécois, peu importe leur couleur de peau.